Pour obtenir un prix Nobel, mangez du chocolat !
C’est en tout cas ce que clame une note du Dr Messerli publiée dans le très sérieux journal « The new england journal of medicine » en 2012. Cette note, intitulée « consommation de chocolat, fonction cognitives et lauréats du prix Nobel » (Chococlate consumption, cognitive function, and Nobel laureates) est pour le moins surprenante mais est aussi porteuse d’espoir pour les chercheur.se.s en herbe pour qui la passion pour cette douceur est plus forte que pour les statistiques (Messerli 2012)! Avant de poursuivre votre lecture, nous vous conseillons de lire l’article par vous-même afin de vous faire votre propre opinion (demandez nous l’article, nous vous l’enverrons !).
En voici maintenant une brève description : bien qu’en format réduit par rapport aux articles précédemment présentés, cela n’en reste pas moins un format utilisé par les chercheur.se.s pour présenter des résultats prometteurs, intriguant mais dont le dispositif expérimental ne permet pas d’aller plus loin qu’une note.
En introduction, l’auteur rappelle, à juste titre, les bénéfices des flavonoïdes, un antioxydant que l’on retrouve dans les plantes, pour améliorer les fonctions cognitives. Or, je vous le donne en mille, le chocolat en est très riche. La problématique posée par l’auteur est alors de savoir s’il existe un lien entre la consommation de chocolat d’une population et ses fonctions cognitives.
L’auteur a donc considéré le nombre total de prix Nobel par nombre d’habitant pour différents pays et a associé ce chiffre à la consommation annuelle de chocolat par habitant durant 2 ans pour 15 pays, un an pour un pays, 8 ans pour 5 pays et 10 ans pour un pays selon la disponibilité des données. Le résultat est présenté en figure 1.
L’auteur rapporte une très forte corrélation entre la consommation annuelle de chocolat et le nombre de prix Nobel pour 10 millions d’habitants pour les 23 pays étudiés. La pente de la droite reliant les deux variables estime que la consommation 0.4kg annuel de chocolat par habitant permettrait de « produire » un prix Nobel supplémentaire par pays et par an. Est-ce que ça ne vaut pas le coup de manger 400g de chocolat par an (c’est pas beaucoup par an, sachant qu’une tablette fait autour de 100g), pour la Science ?
Si l’auteur rappelle qu’une corrélation n’apporte pas la preuve d’un lien de cause à effet, il propose plusieurs hypothèses pour expliquer ce résultat, en plus de l’effet connu des molécules sur les fonctions cognitives. Les personnes avec des fonctions cognitives supérieures seraient, par exemple, plus conscientes des effets positifs des flavonoïdes que l’on trouve dans le chocolat noir et pourrait donc consciemment en consommer en plus grande quantité, améliorant ainsi les chances d’obtenir un prix Nobel. Le chercheur a aussi remarqué que la Suède se démarquait de la tendance globale, ayant un nombre de lauréat plus important que ne le prédirait leur consommation de chocolat. L’hypothèse proposée suggère une plus grande sensibilité des suédois.e.s au chocolat dont une faible dose pourrait améliorer considérablement leurs capacités cérébrales. La dernière hypothèse, plus vague, souligne la difficulté de trouver un dénominateur commun expliquant cette relation, des facteurs socioéconomiques, géographiques et climatiques, non pris en compte pourraient influencer le résultat.
Après cette analyse, l’auteur conclut donc que la consommation de chocolat est une condition sine qua non pour gagner un prix Nobel. De futures recherches doivent maintenant s’attacher à déterminer les mécanismes sous-jacents, expliquant cette corrélation.
Si seulement c’était si beau… Le problème de cette étude est que si les données sont réelles, la méthode est complétement fausse pour en arriver à de telles conclusions ! La démarche était volontaire de la part du Dr Messerli, afin d’attirer l’attention sur les corrélations trompeuses.
Toutefois, cette étude a été citée dans d’autres papiers sérieux, comme source d’information. Heureusement, d’autres équipes ont publié des réponses à cet article afin de rétablir l’ordre dans la démarche scientifique. Ces commentaires sont nécessaires car l’étude avait été reprise également dans différents médias (vous pensez, une telle trouvaille) malheureusement sans aucune relecture critique. Pierre Maurage et ses collègues ont donc publié une réponse à cette étude, intitulée « La consommation de chocolat améliore-t-elle vraiment les chances de gagner un prix Nobel ? Le danger de sur interprétation des corrélations en sciences médicales » (« Does chocolate consumption really boost Nobel award chances ? The peril of over-interpreting correlations in health studies ») en 2013 dans « The journal of nutrition » (Maurage, Heeren, and Pesenti 2013).
Cette réponse ne nie absolument pas les bienfaits des flavonoïdes sur les fonctions cognitives, que l’on retrouve d’ailleurs dans le vin, ou le thé. De fait, il serait alors normal de trouver la même corrélation chocolat-Prix Nobel avec ces deux autres produits dans les mêmes pays ; or cela ne se vérifie pas, ce qui souligne que les flavonoïdes n’expliquent pas cette corrélation.
De plus, le Dr Messerli compare la consommation moyenne de chocolat d’un pays pour expliquer la réussite d’individus. Cela signifierait par exemple que si tous les français consommaient leur 400g de chocolat par an, cela m’aiderait moi à obtenir un prix Nobel. Une démarche plus juste serait de regarder la consommation de chocolat des prix Nobel eux-mêmes afin de savoir si les prix Nobel suisses consomment effectivement plus de chocolat que les prix Nobel japonais, augmentant alors leurs fonctions cognitives comme cela est supposé. C’est un biais important qui amène à penser que le comportement des individus peut être déterminé par celui du groupe or cela est faux concernant la physiologie. Nous ne réagissons pas tous de la même manière au sucre, au sel, et au chocolat… Enfin, considérer le nombre de prix Nobel d’un pays comme un proxy des fonctions cognitives d’une population d’un pays est tout à fait aberrant ! Les norvégiens et les britanniques, qui consomment pratiquement autant de chocolat (Fig 1) n’auraient pas les mêmes performances cognitives du fait que les norvégiens ont obtenu plus de prix Nobel rapporté au nombre d’habitant… Cela manque cruellement d’explication.
C’est bien normal, car il n’y a aucune explication ! Cette corrélation est totalement due au hasard et n’implique aucun lien de cause à effet. Pierre Maurage montre d’ailleurs que l’on peut obtenir le même type de corrélation en remplaçant la consommation annuelle de chocolat par le nombre de magasin IKEA pour 10 millions d’habitants (Fig 2). Cela souligne bien l’absurdité des conclusions du papier original. Les corrélations sont pourtant largement utilisées dans les études mais de manière beaucoup plus rigoureuse et donc justifiée, mais elles n’apportent aucune information sur les liens de cause à effet. Elles permettent d’aider à la recherche d’un facteur pour expliquer la variation d’une variable. Si la corrélation est bonne, de plus amples recherches sont nécessaires pour déterminer les mécanismes conduisant à la réponse observée de la variable à expliquer.
A partir de l’exemple de cette étude, il faudrait maintenant tester dans chaque pays, deux groupes dont l’un consomme du chocolat et l’autre un placebo et comparer leur capacité à « produire » des prix Nobel. On pourrait alors justifier du rôle du chocolat dans l’obtention d’un prix Nobel. Rappelons-nous que si le résultat fonctionne, il devrait fonctionner aussi avec le thé ou le vin. Une rapide analyse de Pierre Maurage montre déjà des résultats négatifs à leur sujet, ce ne sont donc pas les flavonoïdes. Il n’est peut-être pas nécessaire de se lancer dans ce genre de travaux car un prix Nobel implique surement bien plus qu’un régime alimentaire spécial 😉.
Références :
Maurage, Pierre, Alexandre Heeren, and Mauro Pesenti. 2013. “Does Chocolate Consumption Really Boost Nobel Award Chances? The Peril of Over-Interpreting Correlations in Health Studies.” The Journal of Nutrition 143(6):931–33.
Messerli, Franz H. 2012. “Chocolate Consumption, Cognitive Function, and Nobel Laureates.” New England Journal of Medicine 367(16):1562–64.