Médor, « humain » LV1
Les amoureux des bêtes n’ont de cesse de le dire, « il ne manque que la parole » à nos amis à quatre pattes… . Si l’on a tendance à interpréter rapidement les expressions de chiens avec un anthropocentrisme certain, nous ne parvenons pas encore à comprendre leurs aboiements. En revanche, les chiens eux semblent comprendre nos palabres. C’est ce qu’ont démontré expérimentalement des chercheurs dans la revue Animal Behaviour and Cognition en 2014 dans un article intitulé « Les chiens domestiques (Canis lupus familiaris) sont sensibles aux caractéristiques « humaines » des commandes vocales » (Domestic dogs (Canis lupus familiaris) are sensitive to the « human » qualities of vocal commands (Gibson et al., 2014)).
De manière générale, de grandes tendances au sein du vivant montrent que le son émis par les autres êtres vivants sont porteurs d’informations contextuelles voire affectives, interprétées par tous. L’intensité d’un son peut informer sur la taille de l’émetteur et donc d’un potentiel danger. Au sein d’une même espèce, les interactions de reproduction, de gestion de territoires, de dominance dépendent en partie de la qualité acoustique des sons émis par les différents individus. De même, l’interprétation des sons des autres espèces a une importance forte et sert à anticiper la venue d’un prédateur repéré par d’autres, et nul besoin d’être « bilingue » avec cette autre espèce : les caractéristiques sonores (tonalités, fréquences,…) se suffisent à elles-mêmes. Les espèces sont donc capables d’apprendre, d’interpréter des modalités sonores favorisant la coévolution et la coexistence dans un même milieu.
De même, nous sommes capables d’interpréter les aboiements nos amis canins et de manière très instinctives : un bébé par exemple peut discerner des aboiements agressifs de ceux plus bienveillants, notamment en associant l’expression faciale du chien. Réciproquement, les chiens interprètent nos paroles à leur manière. Ils peuvent notamment différencier une voix masculine d’une féminine, la voix présentant un dimorphisme sexuel reconnaissable par les chiens. L’intonation a évidemment un rôle important, le même mot prononcé avec deux intonations différentes sera alors interprété différemment. Première espèce domestiquée, les chiens vivent avec nous depuis près de 14000 ans et notre cohabitation avec cette espèce a fortement influencé son évolution à nos côtés, favorisant ainsi les interactions de communication. Mais est-on sur de bien nous comprendre avec les chiens ?
Les études permettant de mettre en évidence l’interprétation des paroles humaines présentent généralement des effets confondants, c’est-à-dire que les facteurs explicatifs peuvent être sur interprétés du fait de la présence d’autres paramètres pouvant influencer le résultat. La réponse des chiens aux commandes vocales humaines mélange à la fois l’effet de la voie mais aussi la gestuelle ou d’autres indices visuels interprétés par le chien.
Gibson et ses collègues présentent ici une étude démontrant l’impact de la voix, et uniquement la voix, sur les choix des chiens. L’expérience consiste à étudier le comportement des chiens devant obéir à un ordre leur interdisant de consommer le contenu d’une gamelle. Plusieurs questions de recherche sont posées :
- Est-ce que les chiens sont capables de différencier un ordre humain d’un ordre non humain (son modifié pour en changer les caractéristiques) ?
- Est-ce que le sexe de la personne ou la correspondance entre le visuel et le son de l’expérimentateur influencent le chien dans son interprétation de l’ordre ?
- Est-ce que les chiens sont sensibles aux signaux auditifs associés à des ordres humains authentiques ou enregistrés ?
- Les chiens répondent-ils aux mots associés aux ordres en absence d’autres indices auditifs associés aux paroles humaines comme l’intensité, le ton ?
Pour réaliser cette expérimentation, 56 chiens dont 27 mâles et 29 femelles ont été utilisés comme cobayes. Ils étaient âgés en moyenne de 2,5 ans. Ceux-ci ne devaient pas être agressifs, ne pas montrer de signes de peur et être en bonne santé. Durant les différentes conditions de l’expérience, le chien va rentrer dans une pièce dans laquelle se trouve un expérimentateur, une enceinte et une gamelle contenant des croquettes (20) et un os. Chacun de ces composants du système expérimental ont une place fixe et déterminée, identique dans chaque situation et pour chaque chien testé. Une fois dans la pièce, un ordre sera donné au chien, selon différentes modalités (voir ci-dessous). Cet ordre consiste à demander au chien de ne pas toucher à la nourriture avant 30s. L’expérimentateur ne doit ni toucher le chien, ni prononcer le nom du chien, ni utiliser des gestes ou bloquer physiquement l’accès à la gamelle ; seul l’ordre oral est autorisé. Afin de différencier l’effet des différents facteurs testés à savoir :
- Un ordre prononcé par l’expérimentateur vs le même ordre enregistré et diffusé par l’enceinte
- Un ordre lu de manière neutre dont la musicalité est changée par un logiciel
- Un ordre lu par un expérimentateur masculin et féminin déformé afin que la musicalité soit la même mais les mots inaudibles (le son à le même timbre, rythme, intensité et articulation qu’une voix humaine et la même durée mais on n’identifie plus les mots)
- Un ordre lu par une machine (les mots sont audibles mais le phrasé « humain » disparait)
- Un silence enregistré pour tenir compte de paramètres inaudibles pouvant interférer.
Chaque chien ne participe qu’à une condition expérimentale, ceci afin d’éviter une possible adaptation du chien, « apprenant » ce qu’on attend de lui. Pour chaque situation, une caméra enregistre le comportement du chien afin de recueillir les données comportementales. Une fois les 30s de test passées, l’expérimentateur compte le nombre de croquettes consommées, si l’os a été touché et s’il montre des signes de consommation.
Afin d’éviter un temps de découverte par le chien de l’environnement, pouvant biaiser sa réaction lors de son entrée dans la pièce, chacun d’eux a été invité à passer 5 mn dans la pièce librement, avec l’ensemble des constituants de l’expérimentation exceptés la gamelle et l’os. Même durant cette phase, une expérimentatrice avec une regard neutre est présente ainsi que lors des différentes situations testées (même quand le son est enregistré). Cela découle d’expériences précédentes, les chiens ne répondant pas à des ordres humains si celui-ci n’est pas physiquement présent.
Les résultats montrent que quelle que soient les conditions, le même nombre de chien interagit avec l’os, la moitié le déplaçant même sans stimulus (silence). Cet acte ne peut donc être interprété comme un comportement d’échappement, de peur d’être réprimandé du fait de leur désobéissance. Toutefois il est difficile de quantifier précisément la consommation de l’os, l’équipe a donc préféré considérer le pourcentage de temps où l’os se trouvait en partie ou entièrement dans la gueule des chiens. Là encore, les différentes conditions d’émission de l’ordre n’ont pas impacté cette nouvelle variable.
Concernant la consommation de croquette, elle est positivement corrélée au pourcentage de temps que le chien passe en contact avec la gamelle (quand le temps passé proche de la gamelle augmente, le nombre de croquettes consommées augmente aussi) et donc à proximité du donneur d’ordre.
Quand aucun ordre n’est donné, la consommation de croquette est la plus forte, suivi des conditions où l’ordre est déshumanisé et enfin la consommation est la plus faible quand les ordres présentes des caractéristiques humaines (Figure 1).
La consommation moindre quand l’ordre a des caractéristiques humaines ne dépend pas du sexe de l’orateur. La tonalité masculine qui pourrait être associée à une plus forte domination aurait pu influencer cette plus faible consommation, mais le fait que ce soit toujours une femme présente lors de l’expérimentation et donc la seule humaine capable d’émettre l’ordre aux yeux du chien peut aussi expliquer l’absence d’effet du sexe du donneur d’ordre.
En revanche, le fait que l’ordre soit donné de manière authentique ou enregistré (mais en gardant les caractéristiques humaines) n’influence pas la consommation de croquette, similaire dans les deux conditions. La consommation augmente en revanche si l’ordre est « déshumanisé ».
Finalement, l’étude du comportement des chiens au sein des différentes modalités montre que les chiens répondent plus souvent correctement à l’ordre donné quand celui-ci est « humanisé » c’est-à-dire authentique ou avec les caractéristiques sonores de la voie humaine. Il semble également que la déformation des mots ne change pas significativement le comportement des chiens mais si les mots et la sonorité sont conservés, alors la consommation de nourriture diminue de manière plus conséquente. Cela a amené les chercheur.e.s à penser que la musicalité et la bonne prononciation des mots sont toutes les deux importantes pour une communication efficace entre l’Homme et son fidèle ami.
Cette reconnaissance de « l’humanité » dans les sons perçus par les chiens est certainement le produit de la coévolution entre le chien et l’Homme. Différents mécanismes d’apprentissage, d’expériences quotidiennes dans des environnements aux sons pourtant très divers ont permis aux chiens de reconnaitre les sons humains et d’interagir de manière plus forte avec nous, plus que ne le feraient d’autres espèces animales. Toutefois, si l’ordre est donné de manière authentique ou de manière enregistrée, cela n’influence pas la quantité de croquettes consommées. Il semblerait alors que les chiens puissent se retrouver alors dans une situation ambiguë : l’expérimentateur ne faisant aucun geste, le chien garderait alors une posture de méfiance à l’égard de son comportement, et préférerait considérer l’ordre comme « authentique » dans les deux cas.
Grâce à ce protocole expérimental, permettant d’isoler uniquement le facteur « son » dans le processus de communication avec les chiens, Gibson et ses collègues montrent bien que les chiens distinguent clairement les sons « humanisés » des sons « déshumanisés ». Ils montrent également que les mots, sans être forcément nécessaires, améliorent encore un peu la communication après un temps d’apprentissage.
Si nous sommes loin d’être bilingue avec notre chien, il faut reconnaitre que les chiens sont eux forts en langues vivantes et plus particulièrement en langue « humaine ». Faites attention à ce que vous confiez à votre chien comme secret, assurez-vous qu’il sache le garder !
Référence :Gibson, J., Scavelli, S., Udell, C., & Udell, M. (2014). Domestic dogs (Canis lupus familiaris) are sensitive to the “human” qualities of vocal commands. Anim. Behav. Cogn, 1, 281–295.