L’histoire de la propagation des renouées du Japon en France
Dr. Mélanie Thiébaut1 (chercheuse) et la classe de Première spécialité SVT groupe 1 du lycée Jean Racine de Montdidier de Mr Arnaud Van Praët2 (la liste des élèves est mentionnée en fin d’article)
Article original/Original article: M. Thiébaut, S. Nicolas, F. Piola, “The fad for Polygonum will fade away!”: historic aspects of the propagation and success in France of the Reynoutria complex based on archives, Botany Letters, 167:3, 301-314, 2020, DOI: 10.1080/23818107.2020.1750478.
Institution: 1Université Lyon 1, CNRS, UMR 5023 – LEHNA, 6 rue Raphaël Dubois – Bât. Forel 69622 Villeurbanne
2Lycée Jean Racine, 541 rue Pasteur 80500 Montdidier
Résumé :
Dans l’article, publié en Anglais, on apprend que les renouées du Japon sont des plantes originaires d’Asie, importées en Europe par l’être humain au 19ème siècle. Comme deux espèces différentes ont été introduites, elles se sont hybridées à l’insu de l’homme, donnant naissance à une troisième espèce. Elles se sont ainsi propagées de façon rapide et incontrôlée dans une grande partie de l’Europe, et en France en particulier, se développant de façon invasive dans les écosystèmes. L’étude de la renouée du Japon permet de mieux connaître son histoire évolutive et génétique.
Mots clés : Renouée ; Japon ; histoire ; invasive ; hybridation
I. Introduction
Les renouées japonaises sont des plantes d’origine asiatique qui ont été importées par les humains au 19ème siècle.
Ces plantes sont représentées par trois espèces différentes : Reynoutria japonica, Reynoutria sachalinensis et Reynoutria x bohemica, un hybride* apparu en Europe.
Les renouées, qui ont été introduites, ont échappé au contrôle de l’être humain. Elles ont pu s’échapper et se développer dans la nature. Comme elles peuvent bien survivre en Europe, on les dit invasives*.
En effet, elles possèdent de grands rhizomes* avec lesquels elles peuvent stocker de l’eau par exemple. En plus, elles se multiplient et constituent un réseau de clones* interconnectés, formant un amas dense qui recouvre le sol et le prive d’une grande partie de la lumière, ce qui peut conduire à éliminer les végétaux d’autres espèces avec lesquels elles sont en compétition.
Si, dans un premier temps, lors de leur implantation, les renouées augmentent la biodiversité, à moyen et long terme, leur caractère invasif fait qu’elles éliminent les autres espèces et entraînent une diminution de la biodiversité.
Face à ces observations, on a cherché à connaître les débuts de l’histoire européenne des renouées asiatiques et en particulier de leur relation avec l’être humain. L’objectif de l’étude était de retracer l’évolution temporelle et spatiale de l’introduction et de la propagation du complexe Fallopia en France : Où, quand, et dans quelles circonstances les deux espèces parentales sont-elles apparues sur le sol français ? Où, quand, et dans quelles circonstances se sont-elles hybridées ?
Pour cela, les informations que peuvent fournir les herbiers ont été compilées, en particulier en ce qui concerne :
- les premières parts d’herbiers des deux espèces parentales R. japonica et R. sachalinensis, récoltées en France.
- les premières hybridations visibles, grâce à la vérification des déterminations d’époque, la description très tardive de R. x bohemica ayant pu entraîner des erreurs ;
- l’apparition de la fertilité.
À ces éléments se sont ajoutées toutes les informations retrouvées dans la bibliographie de la deuxième moitié du XIXème siècle à la première moitié du XXème siècle, ainsi que les archives, catalogues de graines et comptes-rendus de récolte de plantes.
II. Résultats
2.1. L’histoire de Reynoutria japonica en France
La première espèce, Reynoutria japonica, a été décrite par le médecin et naturaliste néerlandais Marteen Houttuyn en 1777. Elle est originaire de Chine mais l’espèce est très répandue au Japon. La découverte que Houttuyn a faite est restée méconnue jusqu’à ce que Siebold et Zuccarini fassent une nouvelle description en 1846 sous le nom de Polygonum cuspidatum. Dans les années 1840, Phillip Von Siebold, célèbre horticulteur hollandais, a utilisé une plante mâle stérile pour cultiver l’espèce et la vendre dans toute l’Europe. La multiplication du clone introduit a été possible grâce à des fragments de rhizome*. À partir de chaque fragment, une nouvelle plante pouvait se former.
Les plus anciens spécimens européens en herbier ont été trouvés en Lorraine. Ils sont issus du jardin botanique de Nancy où Jean-Baptiste Rendatler travaillait sur l’hybridation des végétaux. La renouée s’est ensuite rapidement propagée en différents points de France et à l’étranger. La littérature vantait encore ses qualités ornementales, fourragères* et alimentaires. Elle a même été progressivement introduite dans de nombreux jardins botaniques publics et parcs publics et privés français.
Si cette espèce a pu ainsi se propager de façon asexuée, les plantes étaient toutes issues d’un individu mâle stérile et elle n’était donc pas capable de se reproduire de façon sexuée.
2.2. L’histoire de Reynoutria sachalinensis en France
La 2ème espèce, Reynoutria sachalinensis, arrive en France bien après Reynoutria japonica. Elle est une double découverte franco-russe, réalisée pendant la guerre de Crimée. Weyrich, l’homme qui découvrit l’espèce à Sakhaline en 1853, était médecin de la marine russe. M. Barthe était à bord d’un navire français, il a collecté 151 spécimens qui ont été identifiés et sont accessibles en ligne sur le site du Musée National d’Histoire Naturelle dont un spécimen conservé en herbier qui date de 1876. En revanche, on ne sait pas si le médecin français a rapporté des plantes ou des graines vivantes de renouée du Japon.
Edouard André, jardinier et directeur de la Revue Horticole, propose en 1888 de planter ensemble les deux espèces, R. japonica et R. sachalinensis. La renouée est ainsi mise en avant et on lui trouve de nouveaux attributs comme source de miel et écran visuel pour les apiculteurs, ou encore comme abri pour les chasseurs ou pour fixer les talus sableux et les dunes. L’espèce était aussi cultivée au Jardin des plantes de Paris, à Saint-Quentin, dans l’Aisne et à Vichy où elle se montre très invasive. La passion pour la plante s’est vite évaporée mais sa culture s’est poursuivie dans les jardins botaniques et elle est restée dans les catalogues d’un grand nombre d’horticulteurs. On la trouvait à la fois sous la forme d’individus hermaphrodites* et mâles stériles.
2.3. L’hybridation des deux espèces parentales de Renouée
Pendant des dizaines d’années, les hybrides n’étaient pas distingués des deux espèces parentales R. japonica et R. sachalinensis par les botanistes, car les trois espèces partagent de nombreuses ressemblances morphologiques. Doumet-Adanson, avec d’autres, a cultivé les deux espèces parentales sur sa propriété et elles se sont rapidement hybridées, notamment lors de ses essais intensifs de culture fourragère, à son insu. On peut imaginer que toutes ces personnes étaient confrontées à des hybrides de générations différentes qui ne produisaient pas tous des graines fertiles, mais dès les années 1890, des hybrides fertiles* sont apparus sans être forcément identifiés comme hybrides.
Les études d’herbiers ont néanmoins permis d’identifier a posteriori des hybrides présents en France. Le plus ancien datant de l’année 1892 et récolté dans la propriété Vilmorin
III. Conclusion
Grâce aux spécimens conservés dans les herbiers, une enquête minutieuse a pu être menée sur les différentes espèces et savoir quand l’hybride est apparu.
On a ainsi déterminé que Reynoutria japonica était donc stérile jusqu’à l’arrivée de R. sachalinensis qui a apporté son pollen permettant la fécondation entre ces deux espèces, et donc leur hybridation. Les hybrides ont été très longtemps ignorés car ils étaient confondus avec les espèces parentales.
Cette étude permet de mieux comprendre certains mécanismes à l’origine de la propagation des plantes invasives : introduction dans un nouveau milieu favorable à son développement par l’être humain, perte de contrôle et nuisance pour d’autres espèces, multiplication asexuée, hybridation et autres modifications génétiques… autant de facteurs qui permettent de mieux comprendre la propagation de cette espèce en France depuis le 19ème siècle.
IV. Lexique scientifique
- Clones : Individus génétiquement identiques, issus de reproduction asexuée.
- Étamines : Unité de l’appareil reproducteur mâle chez les plantes à fleurs. Elles contiennent les grains de pollen.
- Fertile : Capable de produire des cellules reproductrices.
- Fourragères : Les fourragères représentent un vaste ensemble d’espèces et de variétés. Ces plantes, véritable culture à part entière, sont principalement destinées à l’alimentation animale en agriculture
- Gynécée : C’est un ensemble d’organes reproducteurs femelles de la fleur qui est formé d’un ou plusieurs pistils. Il contient les ovules.
- Héliophile : Qui aiment la lumière et qui se développe dans des biotopes ensoleillés.
- Hermaphrodisme : Phénomène biologique dans lequel l’individu présente à la fois des organes mâles et femelles, soit simultanément soit alternativement.
- Hybridation : Croisement entre deux espèces et à l’origine d’une nouvelle espèce.
- Interspécifique : Qui concerne deux espèces différentes et leurs relations.
- Invasive : Espèce qui a tendance à envahir un écosystème au détriment des autres espèces qui l’occupaient précédemment.
- Phénotype : Ensemble des caractères apparents d’un individu.
- Photosynthèse : La photosynthèse consiste à transformer l’énergie lumineuse en énergie chimique. Ce phénomène s’accompagne de l’absorption de dioxyde de carbone (CO2) et de production de dioxygène (O2).
- Prolifération : Multiplication rapide d’êtres vivants, de choses.
- Rhizome : Tige souterraine, qui porte des racines et des tiges aériennes.
Références :
Thiébaut, M., Nicolas, S., & Piola, F. (2020). “The fad for Polygonum will fade away!” : Historic aspects of the propagation and success in France of the Reynoutria complex based on archives. Botany Letters, 167(3), 301‑314. https://doi.org/10.1080/23818107.2020.1750478
Ont participé au travail d’écriture de cet article, en collaboration avec Mélanie Thiébaut, chercheuse en biologie végétale (par ordre alphabétique) : Astrid Balluet, Inès Benkerfallah, Emma Cooke, Laura Denise, Sophie Galland, Pascaline Gorlier, Léo Heudeleine, Elodie Jérôme, Lenny Jusselme, Louis Laude, Clément Lebrun, Soline Martin, Camille Millet, Catheline Molon, Marlon Nnamocha, Margo Paris, Lili Pinel, Louis Rousselin, Clara Talmatkadi, Julie Touret.
Comment citer cet article : Mélanie Thiébaut et la Première spécialité SVT groupe 1 du lycée Jean Racine (Montdidier, FR), L’histoire de la propagation des renouées du Japon en France, Journal DECODER, 2022-09-30.