Et si on twittait dans des parcs plutôt ?

Et si on twittait dans des parcs plutôt ?

Les réseaux sociaux sont le théâtre des commentaires les plus absurdes mais aussi trop souvent haineux. Leur instantanéité nous permet de nous y exprimer sans le moindre recul sans que personne ne nous invite à le faire. Nos commentaires sont alors bien souvent l’expression de notre humeur du moment. Or ils sont également dépendant de notre environnement comme le montre cette étude portant sur Twitter paru dans le journal scientifique « People and Nature » et intitulé « Les visiteurs des espace verts urbains ont plus de sentiments et moins de négativité sur Twitter que les autres » (Visitors to urban greenspace have higher sentiment and lower negativity on Twitter).

Schwartz et son équipe sont partis du constat que si les villes sont un concentré d’activités et d’émulation diverses, c’est aussi un endroit ou le stress environnemental et la pollution sont forts. Nous nous y trouvons relativement déconnecté de la nature, dans un milieu très artificialisé. Les parcs, espaces verts sont de fait un levier politique pour réduire l’impact du « manque de nature » dans les milieux urbains. Diverses études démontrent le rôle positif de la nature sur la santé, les enfants sont par exemple moins sujets aux troubles psychologiques.

Les auteur.e.s ont souhaité alors tester l’influence des parcs et espaces verts sur notre esprit, via notre manière de tweeter (Schwartz, Dodds, O’Neil-Dunne, Danforth, & Ricketts, 2019). Les chercheur.se.s ont émis l’hypothèse que les personnes visitant des espaces verts étaient plus positifs dans leurs tweets que ceux présents dans des environnements plus urbanisés.

Pour ce faire ils ont utilisé une application, « Twitter streaming API », qui permet de collecter les tweets géolocalisés à San Francisco, ville de l’étude, entre le 19 Mai et la 2 Aout 2016. Ceux-ci représentaient près de 70 000 tweets par jour. La ville de San Francisco a été choisie car elle rassemble une large gamme de parcs sur 220 sites et près de 1376 km². 94% des tweets ont été enregistrés dans des espaces verts classés en 3 catégories : « parc régional », « places et parcs » et « parc de proximité et aire de jeu ». 160 sites ont été utilisés pour l’étude et chacun s’est vu attribué un indice de végétation appelé NDVI en anglais pour Normalized Difference of Vegetation Index, qui quantifie la proportion de végétation présente. L’indice varie de -1 à +1, +1 correspondant à une forte végétation.

Une fois les tweets géolocalisés, leurs contenus ont été analysés grâce à un hedomètre. Cet outil donne une note à plus de 10000 mots anglais selon leur sens plutôt positif ou négatif. Cette note varie de 1 (le plus négatif) à 9 (le plus positif). Les mots ayant une note entre 4 et 6 ont été exclus de l’étude car considérés comme neutres sentimentalement, de même les mots se rapportant au nom des parcs ont été exclus comme « golden » (or). A partir de cette mesure, les tweets ont été eux aussi notés avec une variable appelé « sentiment », avant, pendant et après visite dans les parcs. Une formule reliant la note de chaque mot et leur fréquence dans l’ensemble des tweets collectés par heure a permis de quantifier le « sentiment » exprimé.

Une fois ces métriques mises en place, les chercheur.se.s ont pu relier nature des tweets, espaces dans lesquels ils ont été envoyés et à quel moment (avant, pendant et après visite au parc) afin d’observer une potentielle variation dans les « sentiments » exprimés.

Les résultats montrent tout d’abord que les tweets sont plus positifs lors des visites dans les parcs qu’avant ou après s’y être promené. C’est aussi le cas 1h avant et 1h après la visite, comparé à un niveau de référence de « sentiment » neutre (Fig 1). Cette augmentation de sentiments positifs est d’ailleurs comparable à celle observée lors du jour de Noël.

Figure 1 : Sentiment moyen exprimé dans les tweets avant, pendant et après la visite d’un espace vert 24h avant et après la visite. La ligne verte représente la plus forte valeur de sentiment, exprimée dans les parcs de San Francisco. La zone bleue enveloppant le tracé du sentiment moyen correspond à l’incertitude statistique des valeurs de sentiment moyen.

L’augmentation de sentiment positif lors de la visite du parc, par rapport aux tweets postés avant ou après la balade, est la plus forte dans les « parcs régionaux », puis les « parc de proximité et aire de jeu » et enfin en dernier dans les « places et square ». Cela correspond d’ailleurs aux différences de tailles et de verdures (NDVI) pour ces trois types d’espace : les espaces les plus « verts » et les plus grands étant les « parcs régionaux ». 

Ces sentiments plus positifs durent de 1 à 4h après le premier tweet dans un parc mais, on l’a vu, ils s’expriment aussi presque 1h avant même cette visite démontrant ainsi l’impact positif d’une visite de parc sur notre état d’esprit. Cet impact est exacerbé dans les espaces les plus verts, ce qui est corroboré par l’abondance du mot « fleur » dans les tweets issus des « parcs régionaux », parcs également les plus fleuris des trois types d’espace étudiés. L’étude suggère donc que les grands parcs, créant le plus fort contraste avec une urbanisation forte, sont les plus à même de recréer un sentiment de bien-être chez les citadins. Ils permettraient de réduire le stress des habitants comme en témoignent le vocabulaire plus positif employé par les utilisateurs du réseau social (Fig 2). Au-delà, du bien être individuel, les chercheur.se.s ont aussi observé une diminution des pronoms personnels individuels comme « je » ou « moi ». Ce résultat est en accord avec d’autres études montrant un basculement d’un sentiment individuel à un sentiment collectif lorsque nous sommes exposés à la nature.

Figure 2 : Fréquence d’apparition (ligne bleue) de différents mots dans les tweets avant et après la visite d’un parc matérialisée par la ligne verte. La droite horizontale pointillée correspond à la fréquence du mot considéré dans les tweets pendant 24h

L’étude ne permet malheureusement pas de mettre en relation ces résultats avec l’âge, le genre, le niveau d’éducation des utilisateurs ce qui pourrait aussi avoir une influence sur leur manière de poster des messages. Toutefois, elle permet de mettre une nouvelle fois en lumière, via les réseaux sociaux, l’impact positif de la nature sur notre état d’esprit, notamment dans les zone ultra-urbanisées comme San Francisco. Au-delà de Twitter, c’est un argument de plus pour attirer l’attention des pouvoir publics sur la nécessité de conserver et de créer des espaces de nature au sein des villes. Ces zones ne sont pas juste récréatives et donc potentiellement « inutiles » d’un point de vue rentabilité, ce sont des zones améliorant notre état d’esprit, élément essentiel au bon fonctionnement de notre société et du vivre ensemble. Si en plus ça peut calmer les propos haineux sur le réseau social, la nature comme « community manager » c’est puissant non ?

Référence :

Schwartz, A. J., Dodds, P. S., O’Neil-Dunne, J. P. M., Danforth, C. M., & Ricketts, T. H. (2019). Visitors to urban greenspace have higher sentiment and lower negativity on Twitter. People and Nature, 0(0). https://doi.org/10.1002/pan3.10045