Risque d’un réchauffement climatique plus important à court terme induit par la variabilité multi-centennale de la circulation océanique

Risque d’un réchauffement climatique plus important à court terme induit par la variabilité multi-centennale de la circulation océanique

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Rémy Bonnet (chercheur)1, Didier Swingedouw (chercheur)2 et la classe de 3ème E de Laetitia Legrand (enseignante)3 (la liste des élèves est mentionnée en fin d’article).

Institutions :

1 Institut Pierre-Simon Laplace, Sorbonne Université/CNRS, Paris, France. 

2 Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux, Université de Bordeaux/CNRS, Bordeaux, France.

CollègeOlympe de Gouges, Cadaujac, France.

Résumé

Pour étudier l’évolution du climat, les chercheurs utilisent des modèles numériques, basées sur les lois de la physique, qui permettent de simuler les climats passés et futurs. On constate de fortes variations de températures dans les projections des derniers modèles utilisés. Ces variations importantes de température s’observent sur des échelles de temps très longues et cela sans forçages externes de type gaz à effet de serre. Un forçage est une perturbation d’un système, ici dans le cas du système climatique, une perturbation du bilan énergétique.

Les variations internes du système climatique, telle qu’observées dans les modèles, peuvent modifier profondément le système climatique en augmentant ou diminuant fortement la température pendant plusieurs décennies.

Dans cet article, ce problème a été étudié en analysant les données fournies par 32 simulations climatiques disponibles sur la période 1850-2059 et issues du modèle IPSL-CM6A-LR. Le forçage externe est identique dans chacune des simulations (même taux de gaz à effet de serre par exemple), seules les conditions initiales, et donc la variabilité interne, change. Les simulations les plus en accord avec le réchauffement climatique observable depuis 1940, montrent un ralentissement de la circulation océanique dans l’Atlantique Nord. Ce ralentissement semble essentiellement lié à la variabilité interne dans les simulations et est en accord avec plusieurs reconstructions de la circulation en Atlantique Nord. Les simulations montrent qu’au cours des prochaines décennies, la variabilité interne de la circulation Atlantique tendrait à s’accélérer. Cela se traduirait par un réchauffement global plus important, fait qui, s’il est vérifié, mettrait en péril les tentatives de limitation du réchauffement climatique sous la barre des 2°C (Accord de Paris 2015).

Mots clés : modèles climatiques, AMOC, GSAT, variabilité interne, simulations, Accord de Paris

I. Introduction

Le climat varie à de nombreuses échelles de temps, allant de la décennie jusqu’au cycle glaciaire-interglaciaire qui implique des échelles des centaines de milliers d’années, voir bien au-delà ! Ainsi, au cours des deux derniers millions d’années, le climat a été globalement moins chaud et la Terre a connu des alternances de périodes glaciaires et interglaciaires. Par exemple, la dernière glaciation s’est terminée, il y a 12 000 ans. Le moteur des différents climats est lié au rayonnement solaire qui arrive sur Terre. Le système climatique est en équilibre quand l’énergie solaire reçue et égale à celle qui est restituée vers l’espace. Un changement climatique global va être le résultat d’une perturbation de ce système à l’équilibre. Les variations observées peuvent être dues à des forçages externes, c’est-à-dire des perturbations ne provenant pas du système climatique lui-même. Cela correspond, par exemple, aux variations de l’activité solaire, aux éruptions volcaniques ou encore à l’augmentation de l’effet de serre sous l’effet d’une concentration plus importantes des gaz à effet de serre rejetés par les activités humaines.

Au-delà de ces forçages externes, il existe des variations propres au système climatique qui n’est jamais totalement à l’équilibre. En effet, le système climatique comprend différentes composantes telles que l’atmosphère, la surface terrestre, les océans… Ces différentes composantes interagissent les unes avec les autres, à des échelles de temps différentes. Cela rend l’équilibre du système climatique très précaire et peut conduire à des variations importantes du climat sans qu’il y ait intervention des forçages externes, c’est-à-dire d’une composante externe au système. Ces variations sont appelées variabilité interne du système.

Les modèles climatiques, tels que les modèles ESM (pour “Earth System Model” en anglais), constituent un outil essentiel pour comprendre le climat de la Terre et le simuler. Ils permettent notamment de réfléchir aux stratégies d’atténuation (réduire les émissions de gaz à effet de serre) mais aussi aux plans d’adaptation (se préparer aux changements et à leurs conséquences).

Parmi les derniers modèles de climat, certains modèles dits de dernière génération (issus de la 6ème phase du projet d’intercomparaison des ESMs, nommé CMIP6) sont caractérisés par une variabilité interne climatique à des échelles s’étalant sur plusieurs décennies ou centaines d’années, plus importantes que celles des modèles des générations précédentes. Ces variations internes peuvent avoir des répercussions sur le changement climatique induit par l’augmentation des gaz à effet de serre. Elles peuvent, en effet, l’amplifier ou le réduire.

Dans cette étude, les auteurs ont étudié l’effet associé à la variabilité interne depuis les années 1850. Ils ont pour cela utilisé le modèle de climat IPSL-CM6A-LR (Boucher et al., 2020). Ce modèle présente la particularité de posséder une variabilité interne relativement élevée par rapport à d’autres modèles de type CMIP6 (Parsons et al., 2020). A l’aide de ce modèle, l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) a réalisé toute une série de simulations s’étalant sur une période comprise entre 1850 et 2059. Chacune d’entre elles correspond à une évolution possible du climat. A l’aide des résultats, il est possible d’estimer la variabilité interne propre au système en comparant les données historiques connues à celles issues du modèle.

Dans la suite de cet article, vous trouverez la description du modèle et des données utilisées dans la partie 2. L’évolution de la température globale de surface de l’air (appelé GSAT dans la suite pour “Global near-Surface Air Temperature”) simulée par le modèle IPSL sera ensuite évaluée par rapport aux observations historiques dans la partie 3.1.

Puis dans la partie 3.2, les auteurs ont analysé le lien entre la variabilité multi-centennale propre au modèle utilisé et la circulation océanique dans l’Atlantique Nord. Dans la partie 3.3, il s’agit d’étudier les conséquences de cette variabilité sur la circulation océanique et le réchauffement climatique global dans le futur (prochaines décennies). Enfin pour conclure, dans la partie 4, une discussion sur les résultats obtenus est présentée.

II. Matériel et méthodes

Pour évaluer la fiabilité du modèle, les auteurs ont utilisé deux jeux de données différentes : HadCRUT4-CW (Cowtan & Way, 2014 ; Jones et al., 2012) et Berkeley (Rohde et al., 2013 ; Rohde et al., 2013).

L’un des jeux de données provient d’études réalisées en Angleterre, l’autre des Etats-Unis (Californie). Les estimations proposées par chacun des laboratoires dépendent des observations mais aussi des méthodes utilisées lorsque les observations directes ne sont pas possibles (pas d’instruments de mesure dans certaines zones).

Pour étudier l’évolution du climat, les chercheurs utilisent des modèles numériques qui permettent de simuler les climats passés et futurs. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) définit les modèles climatiques comme « des programmes informatiques extrêmement sophistiqués qui englobent notre compréhension du système climatique et simulent, avec autant de fidélité que possible, les interactions complexes entre l’atmosphère, l’océan, la surface terrestre, la neige et la glace, l’écosystème mondial et divers processus chimiques et biologiques ». Comme le système climatique est très complexe, comprend de nombreuses composantes (atmosphère, océan…), la modélisation informatique est le seul moyen dont nous disposons pour réaliser des projections de climats dans le futur, ces simulations sont réalisées à l’aide de super calculateurs.

A l’aide de ces modèles, le GIEC a élaboré plusieurs scénarios en se basant sur l’évolution des émissions de gaz à effet de serre. Ces scénarios vont ainsi du plus pessimiste (augmentation des GES se poursuit) au plus optimiste (changements des comportements et diminution importantes des émissions de GES).

Le modèle utilisé dans cette étude est le modèle IPSL-CM6A-LR, développé en région parisienne par l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL). Une description et une évaluation de ce modèle sont réalisées dans Boucher et al. (2020).

Les simulations obtenues s’étendent sur la période 1850-2059 (Bonnet et al., 2021). Ces simulations, nommées « membres » sont au nombre de 32. Les conditions initiales dépendent d’une simulation dite « préindustrielle ». Considérer plusieurs membres permet d’évaluer le rôle de la variabilité interne.

Dans cette simulation préindustrielle, il est possible d’observer une variabilité multi-centennale qui voit des alternances de périodes plus chaudes ou froides. Pour étudier cette variabilité, les chercheurs ont espacé les dates de début des simulations historiques en appliquant un intervalle allant de 20 à 40 ans. Pourquoi faire varier cet intervalle ? Pour tester différentes hypothèses liées à la variabilité interne sur cette période historique, et obtenir un bon échantillonnage des différentes conditions initiales possibles.

Ensuite, ils ont appliqué à ces conditions initiales, différents types de forçages externes.  D’abord les forçages externes historiques connues pour la période 1850-2014, puis ils ont utilisé un des scénarios élaborés par le GIEC pour la période allant jusqu’en 2059. Le scénario retenu pour l’étude est le scénario SSP 245, il s’agit d’un scénario où globalement les tendances actuelles en matière de rejet de gaz à effet de serre ne changent pas beaucoup. Les sociétés mettent en place des mesures de développement durable mais celles-ci se développent lentement et inégalement à l’échelle de la planète. Les forçages externes appliqués sont les mêmes pour toute la période d’études. Seules différent les conditions initiales du système climatique. Par conséquent, chacune des simulations a une trajectoire qui lui est propre comme nous pouvons le voir sur la figure 1.

Figure 1 : Évolution de la température moyenne globale issue de la simulation préindustrielle du modèle IPSL-CM6A-LR (noir), et différentes simulations historiques de l’ensemble IPSL (couleurs). La simulation préindustrielle est uniquement influencée par la variabilité interne du climat, alors que les différentes simulations historiques sont influencées par les variations des forçages externes observés (concentration gaz à effet de serre, aérosols anthropiques et volcaniques, etc.

III. Résultats

1. Évolution de la température globale du modèle IPSL-CM6A-LR

Sur la figure 2, la zone en gris montre l’ensemble des possibilités d’évolution de la température globale sur la période historique (selon le modèle). La courbe noire correspond quant à elle à la moyenne du modèle et peut être interprétée comme la réponse aux forçages externes. Les oscillations de part et d’autre de cette moyenne représentent la variabilité interne du modèle.

En bleu, on retrouve les données observationnelles issues du laboratoire en Angleterre, en orange celles correspondant aux données observationnelles du laboratoire de Californie. Tandis qu’en vert figurent celles correspondant à la simulation 14 de l’Institut Pierre-Simon Laplace. On peut voir sur la figure que les observations restent dans la zone grise, donc l’espace des simulations historiques du modèle. De même, toutes les observations et simulations montrent une tendance à l’augmentation de la température depuis 1850. Cette augmentation s’accélère depuis les années 1980 et est induite par les forçages externes liés aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaines, comme le montre la courbe noire qui symbolise la réponse du système climatique aux forçages externes, dominés par l’augmentation des gaz à effet de serre.

Figure 2 : Évolution des anomalies de la température moyenne globale de surface issues de l’ensemble de simulations IPSL (gris), de la moyenne d’ensemble de ces simulations (noir), de deux jeux d’observations de température : HadCRUT4-CW (bleu) et Berkeley (beige), et du membre 14 de l’ensemble IPSL. Les anomalies de température sont calculées en soustrayant la température moyenne sur toute la période. 

Dans la dernière partie de la courbe qui correspond à la fin du XXe siècle, on observe une tendance à l’augmentation supérieure pour la moyenne d’ensemble (courbe noire). Cela peut être dû à plusieurs facteurs :

– une sensibilité du modèle aux forçages externes, et notamment l’augmentation du CO2, plus importante que dans la réalité (les observations).

– une surestimation du forçage externe, par exemple des particules fines types aérosols qui proviennent de la pollution. Celles-ci pourraient interagir avec les nuages et modifier l’effet de serre en induisant un refroidissement (effet parasol). Leur prise en compte dans les modèles se doit d’être précisée.

– la variabilité interne multi-centennale qui compenserait une partie du réchauffement

Selon les études précédentes (Boucher et al., 2020), le forçage ne serait pas surestimé pour ce modèle, donc nous nous contenterons de prendre en compte les deux autres facteurs. Certaines simulations sont par ailleurs très proches des observations historiques, notamment le membre 14 qui est représenté en vert sur la figure 2.

2. Relation entre la circulation océanique d’Atlantique Nord et la température globale

Les vents et la rotation de la Terre (force de Coriolis) sont à l’origine des courants marins de surface. Les différences de densité des différentes masses d’eau de mer contribuent également à créer des courants marins. Ces différences de densité sont liées à deux facteurs : la température et la salinité. Les courants marins jouent un rôle fondamental dans l’équilibre thermique de la planète. Ils permettent, de redistribuer, l’énergie solaire excédentaire des zones chaudes vers les zones froides. Ainsi, la circulation océanique de l’Atlantique Nord (AMOC pour “Atlantic Meridional Overturning Circulation”) appelée aussi circulation de retournement, transporte les eaux chaudes et salées des tropiques vers l’hémisphère Nord.

La Circulation méridienne de retournement Atlantique constitue un ensemble complexe, une boucle de courants marins (dont fait partie le Gulf Stream) qui circulent dans l’Atlantique Nord, le long des littoraux américains, de ceux d’Europe de l’Ouest jusqu’aux mers nordiques de Scandinavie, d’Islande et du Groenland. Ce courant prend sa source au large de l’Afrique du Sud, endroit où l’eau est chaude et salée et reste en surface car elle est moins dense que l’eau froide que l’on trouve au fond des océans. En arrivant au niveau du Groenland, elle va se refroidir, tout en restant très salée et par conséquent devenir plus dense. A un moment, elle peut même devenir plus dense que les eaux profondes, notamment en hiver, quand des vents puissants la refroidissent très fortement. C’est le phénomène de convection qui permet la création de masses d’eau profonde, qui rejoignent les courants profonds (>1000m) et repartent vers le Sud.

Cette circulation de retournement est mesurée à 26°N directement par des instruments océanographiques depuis 2004 seulement. Cette période est trop courte par rapport aux variations multi-décennales à centennales qui nous intéressent (depuis 1850 par exemple). Il est donc obligatoire d’utiliser des proxies, c’est à dire des mesures très indirectes de l’intensité des courants pour essayer de remonter plus loin dans le temps.

Dans l’article de Caesar et al. (2018), la température de surface de l’océan dans le gyre subpolaire est utilisée comme un proxy de l’AMOC. Cette récente reconstruction de l’AMOC développée par Caesar et al. (2018) suggère un ralentissement de la circulation océanique de l’Atlantique Nord depuis les années 1940-1950.  Cependant, l’origine d’une telle diminution reste pour le moment mal comprise. En effet, on ignore si cela est lié au changement climatique en cours, ou à des variations internes de grande échelle temporelle, ou un peu des deux et dans quelle proportion. Le modèle IPSL-CM6A-LR est caractérisé par une variabilité interne multi-centennale de la GSAT (rappel = température globale de surface de l’air) et de l’AMOC dans la simulation préindustrielle (Figure 1 ; Boucher et al., 2020).

Jiang et al. (2021) suggère dans leur étude que lorsque l’on se trouve dans une phase négative de l’AMOC, il y a moins de chaleur qui est transporté vers l’hémisphère Nord. Par conséquent, la température globale va chuter durant cette période car moins d’énergie est redistribué vers les hautes latitudes. Au contraire, lorsqu’il s’agit d’une phase positive, il y aura un transfert d’énergie plus important vers l’hémisphère Nord et la température moyenne globale va augmenter.

Figure 3 : Diagramme de dispersion entre les tendances de la température globale de surface (GSAT pour “Global near-Surface Air Temperature”) (Kelvin par décennies) en fonction de la circulation océanique de l’Atlantique Nord (AMOC pour “Atlantic Meridional Overturning Circulation”) (exprimé en Sverdrup=106 m3/s par décennie) calculées sur la période 1940-2016 à partir de l’ensemble de simulations IPSL (ronds pleins) et des observations (ligne pointillées noires) avec leurs incertitudes (gris). La ligne noire représente la régression linéaire entre ces deux variables, avec un coefficient de détermination de 0.82. L’échelle de couleur représente l’erreur quadratique moyenne (RMSE) calculée entre les températures globales annuelles simulées et observées sur la période 1900-2018. Plus le score est faible, plus la température simulée est proche de celle observée. Enfin, le jeu d’observation HadCRUT4-CW est utilisé pour la température et la reconstruction développée par Caesar et al. (2018) est utilisée pour l’AMOC. Les estimations associées sont représentées par les enveloppes grisées sur l’axe des abscisses et des ordonnées respectivement.

La figure 3 nous montre qu’une relation positive est détectable dans les simulations du modèle IPSL-CM6A-LR (modèle de l’IPSL, version « Coupled Model » numéro 6, à basse résolution) entre l’AMOC et la GSAT. Dans les simulations présentant un réchauffement faible, on observe une tendance négative de l’AMOC, donc un ralentissement de la circulation océanique. A l’inverse, sur la période 1940-2016, un réchauffement plus fort correspond à des tendances positives de l’AMOC. Les simulations les plus proches des observations correspondent à une tendance négative de l’AMOC, diminution en accord avec la reconstruction de Caesar et al. (2018).

A partir de ces résultats, les auteurs ont sélectionné quelques simulations proches des observations. Il s’agit des membres #14, #4, #5, #25, #29 et #30 comme on peut le voir sur la figure 3.

3. Implication pour le réchauffement climatique dans les prochaines décennies

Dans cette partie sont analysées les membres choisis et cités précédemment. Cette analyse se fait sur la période historique mais aussi sur les décennies à venir.

Une évolution similaire peut être mise en évidence dans le sous-ensemble de membres dont il est question dans la partie 3.2., avec une accélération de l’AMOC jusque dans les années 1940. Puis on observe un affaiblissement comme le montre la figure 4. Lorsqu’on compare la moyenne et un membre isolé comme le membre nommé 30, on remarque que celui-ci présente une réponse différente jusque dans les années 1950. A l’inverse, la moyenne IPSL (courbe en rouge), qui rappelons le correspond à la réponse de l’AMOC aux forçages externes, varie peu. L’étude des différentes simulations (membres et sous-ensembles) permet quant à elle d’étudier la variabilité interne

Sur la figure 4, des tendances se dessinent. Après 1950, la moyenne montre une AMOC et une GSAT supérieure aux données des simulations proches des observations. C’est ensuite l’inverse pour la période présentant les décennies futures, les données du sous-ensemble sont supérieures à la moyenne du modèle, pour l’AMOC.

La variabilité interne du système climatique semble être la responsable principale de la variabilité de l’AMOC jusqu’en 1990 environ, dans le sous-ensemble « bleu » notamment. A partir du XXIe siècle, on observe que ce sont les forçages externes qui vont dominer les variations de l’AMOC et amener une forte réduction. En effet, tous les membres, sur la figure 4, montrent une AMOC qui se ralentit. Les forçages externes prennent le dessus sur la variabilité interne. Cependant, dans les sous-ensembles, on observe une accélération de l’AMOC quand on enlève le signal forcé. Ce sous-ensemble est donc caractérisé par un affaiblissement moins important de l’AMOC que le grand ensemble en lui-même, toujours à cause des variations internes multi-centennale de l’AMOC qui continuent à s’exprimer dans les simulations du futur. Par conséquent, les résultats obtenus à partir des simulations du sous-ensemble montrent donc une tendance positive de la variabilité interne sur les prochaines décennies. A cela, on peut ajouter la moyenne IPSL, qui présente une tendance négative quant à elle, si bien que la variabilité interne vient limiter le ralentissement de l’AMOC, mais ne l’inverse pas. Il se pourrait donc qu’une partie du réchauffement climatique d’origine humaine ait été occulté par cette variabilité interne et se manifeste dans les décennies à venir. Dans ce cas, le réchauffement global sera plus important que prévu en se basant seulement sur les moyennes d’ensemble de modèles, et les objectifs des accords de Paris seraient, de ce fait, plus difficiles à atteindre.

Figure 4 : a. Évolution des anomalies de la circulation océanique de l’Atlantique Nord (AMOC pour “Atlantic Meridional Overturning Circulation”) (Sv) calculées par rapport à la période 1900-2018 à partir de l’ensemble IPSL (gris), la moyenne d’ensemble (noir), le sous-ensemble de membre identifié figure 3 (#14, #4, #5, #25, #29 et #30) (bleu clair), la moyenne du sous-ensemble (bleu foncé) et la variabilité moyenne interne du sous-ensemble (violet). c. Similaire à a. mais pour la température globale (K). b. Tendances de l’AMOC (Sv par décennie), avec la moyenne de l’ensemble IPSL (point noir) et l’étendue minimale / maximale (trait noir), le sous-ensemble de membres (point bleu clair) et leur moyenne (point bleu foncé). d. Similaire à b. mais pour la température globale (K par décennie). Un filtre passe-bas est appliqué aux séries temporelles (a et b) afin d’étudier les variations lentes de l’AMOC et de la température globale.

IV. Conclusion et discussion

Les simulations du modèle IPSL-CM6A-LR ont permis de mettre en évidence une variabilité interne de type multi-centennale sur la température globale. Il existe également un lien entre la circulation de l’Atlantique Nord et cette variabilité. La circulation océanique de grande échelle a donc une influence sur la température de surface et pourrait tendre à atténuer le réchauffement global d’origine anthropique depuis le milieu du XXe siècle. En effet, selon les résultats de cette étude, le réchauffement plus faible observé par rapport à la moyenne du modèle pourrait être lié à un ralentissement de la circulation de retournement. Ce ralentissement aurait limité l’augmentation de cette température globale.

Si ce ralentissement est effectivement lié, comme le suggère cette étude, à la variabilité interne multi-centennale, alors le risque d’un réchauffement accru se profile dans les décennies à venir.

Un point reste cependant à préciser. Il s’agit du réalisme de cette variabilité multi-centennale visible dans le modèle IPSL-CM6A-LR. De celle-ci découlent, en effet, les résultats. Pour réussir à préciser ce point, les données paléoclimatiques qui remonte avant 1850 pourraient être utilisées. Malheureusement elles demeurent assez incertaines sur la variabilité du climat car elles ne sont pas assez nombreuses et manquent dans certaines régions. Il faudra donc poursuivre les études en cours en en collectant davantage et en en faisant des synthèses qui puissent permettre d’évaluer l’existence d’une telle variabilité multi-centennale de la circulation océanique de retournement.

Références

Bonnet, R., Boucher, O., Deshayes, J., Gastineau, G., Hourdin, F., Mignot, J., … & Swingedouw, D. (2021). Presentation and evaluation of the IPSL‐CM6A‐LR Ensemble of extended historical simulations. Journal of Advances in Modeling Earth Systems, 13(9), e2021MS002565.

Boucher, O., Servonnat, J., Albright, A. L., Aumont, O., Balkanski, Y., Bastrikov, V., … & Vuichard, N. (2020). Presentation and evaluation of the IPSL‐CM6A‐LR climate model. Journal of Advances in Modeling Earth Systems, 12(7), e2019MS002010.

Caesar, L., Rahmstorf, S., Robinson, A., Feulner, G., & Saba, V. (2018). Observed fingerprint of a weakening Atlantic Ocean overturning circulation. Nature, 556(7700), 191-196.

Jiang, W., Gastineau, G., & Codron, F. (2021). Multicentennial variability driven by salinity exchanges between the atlantic and the arctic ocean in a coupled climate model. Journal of Advances in Modeling Earth Systems, 13(3), e2020MS002366.

Parsons, L. A., Brennan, M. K., Wills, R. C., & Proistosescu, C. (2020). Magnitudes and spatial patterns of interdecadal temperature variability in CMIP6. Geophysical Research Letters, 47(7), e2019GL086588.

Élèves impliqués dans le travail d’écriture :

ARZILIER Maléa, BARRE Marine, BRANEYRE Louis, BRULIN Aurane, CITRAIN-ROBY Leïla, CROZAT Julia, DA SILVA Flavien, FERNANDEZ Estéban, GHIDOTTI Lucas, JURADO Luna, LALLEMAND Arthur, LAMBEY Thomas, LAULHÉ Théo, LE MAT-PONZO Clémence, LEVERD Manon, LOPEZ-FOURC Noa, NEVES Nino, PINTO SOUSA Catherine, PRAT Lucie, RAMOS Lucia, et TSATY Lardie de 3ème E du collège Olympe de Gouges (année scolaire 2021-2022).