Des dauphins en Moon-walk
Pour ceux qui ont eu la chance de voyager de part de monde, vous avez peut-être eu l’occasion de partir en pirogue afin d’observer la faune aquatique, par exemple des dauphins. Quelle fierté de montrer ensuite à Noël à la famille les cétacés qui nagent à côté du bateau, font des sauts gracieux hors de l’eau.
Toutefois, est ce bien normal tout d’un coup de voir un dauphin sortir de l’eau, debout sur sa nageoire caudale comme au Marineland ? Vous êtes vous fait avoir et participez vous à une attraction touristique vendu comme une escapade sauvage ?
Oui et non en fait : de nombreuses observations de ce style ont été réalisées sur la côte sud de l’Australie, dans l’estuaire de Port River, chez le grand dauphin de l’océan Indien (Tursiops aduncus), ce qui a attiré l’attention des scientifiques (et on les comprend). Ces résultats ont été rapportés dans un article intitulé « Déplacement sur la nageoire caudale dans une communauté de grands dauphins : l’augmentation et la diminution d’une mode culturelle arbitraire » dans la revue Biology Letters (Bossley M. et al., 2018). Ce comportement est en effet le fruit d’un apprentissage humain, pour ce qui concerne les parcs d’attraction, mais en milieu naturel ce comportement n’a à ce jour pas lieu d’être car très arbitraire, il ne semble répondre à aucun stimulus extérieur et dépourvu de fonctionnalité comportementale. Alors comment expliquait ce comportement ?
Tout d’abord, ce moon walk correspond à la sortie de l’eau du dauphin d’au moins 2/3 de son corp, suivi d’une marche arrière à la surface de l’eau debout sur sa nageoire caudale sur au moins un mètre après être sorti de l’eau (Figure 1).
Le premier dauphin a avoir été observé se prenant pour Mickael Jackson se prénommait Billie. Pourquoi avait-il un prénom ? Tout simplement car, dans sa jeunesse, il a été piégé dans un port, capturé et transféré dans un delphinarium pour être soigné. Or dans cet endroit, cinq autres dauphins subissaient des « entraînements » afin d’amuser les spectateurs, notamment via ce comportement de sortie de l’eau sur la nageoire causale. Étonnamment Billie n’a jamais subi d’entrainement, la seule explication est donc qu’il ait appris en observant ces congénères ce type de comportement qu’il a alors reproduit en milieu naturel une fois relâché.
Plus étonnant encore, ce comportement a été observé près de 261 fois chez 6 adultes femelles et 5 juvéniles et pas uniquement chez Billie. Entre 2008 et 2010, alors que Billie était malheureusement décédé, la fréquence de ce comportement a augmenté au cours des observations. Entre 2009 et 2014, 8 autres dauphins ont été observés dans les mêmes conditions mais à des fréquences plus faibles (Figure 2). Tous les dauphins n’ont pas reproduit ce comportement alors qu’ils ont pu l’observer aussi comme Sparkle, TFM et Millie. En revanche leurs petits ont tous reproduit le geste. La baisse de fréquence des observations semble en tout cas un résultat plausible du fait de la cohérence des observations et il serait trompeur de l’interpréter comme un biais possible d’observation.
En arriver à la conclusion scientifique que les dauphins apprennent les uns des autres, conduisant à la reproduction de ce « moon walk » inattendu aurait demandé une expérimentation plus rigoureuse que de simples observations.
Néanmoins il faut reconnaitre que s’est constitué un large faisceau d’indices et tout porte à croire que cette conclusion est plausible. Tout d’abord la capacité d’apprentissage en soi est une capacité déjà largement reconnue chez ces cétacés. De plus ce comportement est très couteux énergétiquement sans rien récupérer en retour d’un point de vue énergie (comme pourrait le faire la digestion d’une proie par rapport à la chasse par exemple), il est donc très arbitraire et ne correspond pas à un besoin vital. Bien entendu, la rareté de ce comportement dans la nature va dans le sens aussi d’un apprentissage particulier. Le fait également qu’il y ait eu de plus en plus puis de moins en moins d’observation suggère un comportement social, limité à certains individus plutôt qu’à un changement de comportement du fait de variations environnementales qui aurait été plus général au sein de l’effectif. Ce comportement s’est répandu entre dauphins vivant au même endroit mais n’ayant pour certain, aucun lien de parenté avec des moon-walkers suggérant que l’effet génétique de transmission de ce « savoir » est hors de cause. Enfin, la cause de l’introduction de ce comportement via Billie et son expérience en delphinarium est une explication plus que probable.
Si ce n’est le caractère cocasse de ce comportement, ces observations pourraient permettre d’expliquer les mécanismes de transmission du savoir chez les dauphins, notamment par exemple la grande diversité des façons de chercher de la nourriture via des mécanismes comportementaux similaires.
Cela montre également l’impact humain sur le comportement des animaux : Billie a été relâché en 1988, le premier moon walk a été observé en 1995 et ce jusqu’en 2014. La transmission culturelle peut avoir lieu sur plusieurs dizaines d’année. C’est donc un aspect à prendre en compte dans les programmes de conservation ou certains animaux relâchés dans la nature proviennent de centres gérés par les humains. De fait peut être verront nous un jour des perroquets récupérer un vieux vélo dans la nature ?
Figure 1 : Photo d’observation d’un dauphin en plein moon walk en milieu naturel (© Bosseley et al, 2018)
Figure 2 : représentation entre 1995 et 2015 du nombre d’individus observé dressés sur leur nageoire caudale (barres grises) et du nombre de jour où le comportement a été observé pour 1000h d’observation (barres noires). La ligne noire représente le nombre d’heure d’observation réalisées (© Bosseley et al, 2018).