Les Solutions fondées sur la Nature (SfN) appliquées à la gestion des eaux pluviales en milieu urbain, vue d’ensemble et perspectives

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Arnaud Foret1, Margaux Pred’Homme1, Coline Heritier1, Clément George1, Océane Joet1 (étudiant·e·s du master 2 IWS) et la classe de Terminale BFI du lycée jean Perrin de Mr Jonatan Christianssen2 (la liste des élèves est mentionnée en fin d’article)
Article original/Original article: Rapuc, William, Julien Bouchez, Pierre Sabatier, Kim Genuite, Jérôme Poulenard, Jérôme Gaillardet, et Fabien Arnaud. « Quantitative evaluation of human and climate forcing on erosion in the alpine Critical Zone over the last 2000 years ». Quaternary Science Reviews 268 (15 septembre 2021): 107127. https://doi.org/10.1016/j.quascirev.2021.107127.
Institution : 1 Master IWS, EUR H2O’Lyon – Bâtiment CEI 1, 66 boulevard Niels Bohr, Villeurbanne, France
2 Lycée Jean Perrin, 48 rue Pierre Baizet 69338 Lyon Cedex 09

Résumé :
Les SfN sont des ouvrages imitant les fonctions et services rendus par les écosystèmes naturels, notamment pour résoudre des problématiques de gestion des eaux pluviales en ville.
Les SfN offrent des alternatives durables, comme la restauration des forêts ou les infrastructures vertes, pour protéger la biodiversité et améliorer la résilience.
Parmi les SfN, on retrouve : les noues, les tranchés, les toits végétalisés, les chaussés absorbantes, les bassins de rétention, les rivières sèches…
Mots clés : Gestion des eaux pluviales ; Infrastructures vertes ; Milieu urbain ; Perspectives et enjeux
I. Introduction : Concept général et historique des Solutions Fondées sur la Nature
La fréquence et l’intensité des événements climatiques extrêmes, tels que les fortes précipitations, tempêtes et inondations, augmentent avec le réchauffement climatique, notamment dans la région méditerranéenne où la température a déjà grimpé de 1,4 °C depuis l’ère préindustrielle. Même en limitant le réchauffement à 1,5 °C, cette région pourrait voir sa température moyenne augmenter de 2,2 °C, rendant les infrastructures et populations côtières plus vulnérables aux inondations, avec des dégâts annuels pouvant atteindre 38 milliards d’euros d’ici 2100 (Heinzlef et al., 2020). C’est le cas des pays d’Europe du Sud, tels que l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Italie et la Turquie, qui devraient faire face à une réduction significative de leur disponibilité en eau, causée par la baisse des précipitations et l’intensification de l’évaporation sous des températures de 1,5°C à 3°C de réchauffement. Cette raréfaction accrue de l’eau dans les régions méditerranéennes entraînera une augmentation des jours où l’exploitation de l’eau dépasse les seuils de rareté. À 3°C de réchauffement, la péninsule ibérique pourrait connaître plus d’un mois de rareté d’eau supplémentaire par an, exposant ainsi 64,6 millions de personnes en Europe à des pénuries, soit 12,7 millions de plus qu’aujourd’hui (European Commission. Joint Research Centre., 2020).
L’urbanisation exacerbe ce risque, en fragilisant des infrastructures critiques comme les réseaux électriques et les hôpitaux (Heinzlef et al., 2020). Depuis au moins 3 décennies, un certain nombre de disciplines scientifiques ont mis en évidence l’impact de l’urbanisation sur les facteurs socio-économiques et environnementaux (Lafortezza & Sanesi, 2019).
L’urbanisation a notamment pour conséquence une détérioration des services écosystémiques, c’est-à-dire des bénéfices, directs ou indirects, que les écosystèmes offrent aux êtres humains pour leur bien-être. Ces services, fournis par la nature et pour la nature, jouent également un rôle crucial pour les sociétés humaines qui en dépendent. Leur dégradation affecte ainsi la santé physique et mentale des populations, ainsi que leur qualité de vie (Blau et al., 2018 ; Lafortezza & Sanesi, 2019). L’urbanisation entraîne par exemple une imperméabilisation des sols, la pollution de l’air, de l’eau et des sols, la destruction d’habitats, l’augmentation du ruissellement, l’aggravation des risques d’inondation, les îlots de chaleur urbains, mais également des inégalités socio-économiques pour les populations habitant les espaces urbanisés (Blau et al., 2018 ; Heinzlef et al., 2020 ; Lafortezza & Sanesi, 2019).
L’urbanisation a été massive depuis plus de 50 ans et 54% de la population mondiale vit aujourd’hui dans des espaces urbanisés. Cette tendance risque de se poursuivre à l’avenir, avec 66% de la population mondiale risquant d’habiter en ville d’ici à 2050, 90% de cette nouvelle urbanisation ayant lieu en Asie et en Afrique (Blau et al., 2018 ; Lafortezza & Sanesi, 2019). Les impacts négatifs de l’urbanisation ont souvent été “réglés” par des infrastructures dites “grises”, c’est à dire des infrastructures artificielles issues du génie civil (les usines de traitement des eaux, les réservoirs, les égouts…). Pour la gestion des eaux pluviales, qui est l’un des principaux enjeux liés à l’urbanisation (l’imperméabilisation des sols et la diminution de l’infiltration, et donc l’augmentation du ruissellement urbain), cela s’est notamment traduit par le raccordement des réseaux d’eau pluviale au réseau d’eaux usées, causant, entre autres, des rejets dans le milieu naturel et des inondations urbaines lors des épisodes pluvieux intenses.
Les Solutions fondées sur la Nature (SfN, ou Nature Based Solutions en anglais) ont été conçues en réponse à l’inefficacité des infrastructures grises. Les SfN copient les mécanismes et processus complexes des écosystèmes afin de rétablir des services écosystémiques essentiels, notamment au sein des villes, bien qu’elles puissent être utilisées partout (Lafortezza & Sanesi, 2019). Plus qu’un simple concept ou une approche, les SfN ont une dimension concrète, proposant des solutions pour répondre aux problématiques environnementales, notamment dans un contexte de perte de biodiversité et de changement climatique, la réduction de ce dernier constitue un aspect essentiel des SfN (Blau et al., 2018 ; Lafortezza & Sanesi, 2019).
Les concepts de SfN ont d’abord émergé sur l’impulsion des décideurs et des responsables politiques, lors de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à Copenhague en 2009. L’IUCN (International Union for Conservation of Nature), puis des chercheurs dans diverses disciplines s’en sont ensuite saisis (Lafortezza & Sanesi, 2019). C’est à l’issue de la COP21, puis en 2016, à l’occasion du Congrès mondial de la nature, que la place des Solutions fondées sur la Nature dans l’atteinte des objectifs de développement durable, a été réellement reconnue au niveau international, à la fois dans l’Accord de Paris, mais aussi grâce à l’adoption de la proposition de définition des Solutions fondées sur la Nature (UICN, 2024).
L’Union Européenne s’est également rapidement saisie du sujet, en développant des initiatives de financement comme “Horizon 2020”, favorisant les transferts de connaissances et de pratiques entre organisations et individus concernés par les SfN (Lafortezza & Sanesi, 2019).
En d’autres termes, les SfN répondent à la fois à des problématiques sociétales (notamment les inégalités), tout en apportant des bénéfices pour la biodiversité, et des bénéfices annexes (tourisme, paysage…), en s’appuyant sur le fonctionnement naturel des écosystèmess (Blau et al., 2018 ; Kõiv-Vainik et al., 2022 ; Lafortezza & Sanesi). Les SfN sont applicables à différents enjeux tels que les risques d’incendies, littoraux, liés à l’eau, lutte contre les changements climatiques. Elles peuvent, par exemple, consister à préserver les dunes sur le littoral aquitain, restaurer des zones humides, préserver des zones inondables et des îlots de fraîcheur, aidant à réduire la chaleur excessive en ville (Kõiv-Vainik et al.).
Dans cet article, nous ne traiterons que des SfN utilisées dans les espaces urbains en raison des enjeux vus précédemment, et nous nous pencherons plus spécifiquement sur la question de la gestion des eaux pluviales urbaines.
II. Présentation des Solutions Fondées sur la Nature pour la gestion des eaux pluviales en ville, fonctionnement général et grands principes
Les SfN servent à solutionner des enjeux et des problématiques à des échelles spatiales différentes, telle qu’à l’échelle d’une ville ou de quartier, causées par des actions humaines provoquant des effets négatifs pour l’environnement urbain tel que : la perte de services écosystémiques, le ruissellement urbain, les inondations. Ainsi, elles sont souvent utilisées en “système”, avec l’utilisation de diverses SfN à travers la ville qui les met en place.
Plusieurs types de SfN peuvent être distingués par leur fonction, leur structure et leur localisation. Les solutions de drainage durable urbain (SUDS), visent à gérer l’écoulement des eaux pluviales dans les zones urbaines pour éviter les inondations, réduire la pollution des cours d’eau, et favoriser l’infiltration naturelle de l’eau. Elles englobent les toits verts, zones humides, bandes tampons et rigoles, qui permettent la rétention et l’infiltration de l’eau de pluie. Ces systèmes sont également cruciaux pour améliorer la qualité de l’eau et soutenir la biodiversité, surtout face aux défis climatiques croissants (Kõiv-Vainik et al., 2022). Des toits végétalisés et arbres de pluies peuvent, par exemple, venir en complément, de zones humides restaurées, de jardin de pluie, de zones d’expansion des crues, adressant ensemble des problématiques sociales, environnementales et économiques (tourisme par exemple) (Blau et al., 2018 ; Lafortezza & Sanesi, 2019).
Plusieurs autres solutions de gestion des eaux pluviales fondées sur la nature sont possibles. Parmi elles, les forêts urbaines, qui consistent en de grands espaces densément plantés d’arbres, et les arbres de rue, plantés en alignement le long des routes et des boulevards. Les parcs urbains offrent également des espaces verts publics intégrant divers éléments naturels comme des arbres, des pelouses et des plans d’eau, contribuant autant au loisir qu’à la gestion des eaux. Enfin, les jardins communautaires permettent la culture collective de parcelles pour la production alimentaire, tout en jouant un rôle dans l’absorption des eaux de pluie (Orta-Ortiz & Geneletti, 2022).
Par ailleurs, une analyse de 104 articles scientifiques a permis d’identifier plusieurs variables de conception, notamment la sélection des espèces végétales et les propriétés des sols, qui influencent significativement l’efficacité de ces solutions dans la gestion des eaux pluviales et la réduction des polluants. Ces variables se regroupent en grandes catégories, incluant notamment les caractéristiques des espèces végétales et les propriétés des sols (Orta-Ortiz & Geneletti, 2022).
1. Les caractéristiques végétales
Pour garantir l’efficacité des SfN, les espèces choisies doivent non seulement être adaptées aux contraintes climatiques locales et aux spécificités du site, mais aussi répondre à des critères esthétiques. Les caractéristiques des espèces végétales influencent directement la performance des SfN.
Certaines espèces d’arbres se distinguent par leur capacité à capter l’eau du sol de manière plus efficace, à limiter le ruissellement en favorisant l’aération du sol, et à réduire les pertes par évapotranspiration. Par exemple, les arbres dotés d’une large canopée (couverture de feuillage) et d’une forte conductance stomatique présentent une meilleure capacité à capter l’eau de pluie. Par ailleurs, les racines et certaines caractéristiques de l’écorce, telles que les rugosités et les fissures, contribuent également à la performance des SfN. Une écorce rugueuse retient l’eau plus longtemps sur le tronc, ce qui facilite l’adsorption des polluants.
La diversité de la végétation choisie, avec la formation de différentes strates (couches de végétation), selon leur hauteur, telles que strate arborée (arbres), la strate arbustive (buisson), la strate herbacée (herbe) peut jouer un rôle dans la performance des SfN. La combinaison de ces strates végétales, grâce à la diversité de leur système racinaire – nombreuses et peu profondes pour les herbes, et des racines moins nombreuses mais plus profondes pour les arbres – peuvent augmenter la perméabilité du sol, favorisant ainsi l’infiltration de l’eau et réduisant le ruissellement (Orta-Ortiz & Geneletti, 2022).
2. Les caractéristiques du sol
Le type de sol affecte directement l’efficacité d’une SfN. La conductivité hydraulique, qui mesure la capacité du sol à transmettre l’eau, dépend de sa texture, sa structure et sa porosité. Elle est essentielle pour l’infiltration de l’eau et l’efficacité des SfN. Par exemple, un sol trop compact limite l’infiltration, tandis qu’un sol à texture grossière, riche en sable, facilite la pénétration de l’eau. De plus, la matière organique, pouvant provenir de la décomposition des feuilles et des débris végétaux, améliore l’infiltration en augmentant la porosité du sol. Ces dernières années, l’utilisation de “technosols”, nutriments, qui se retrouvent en excès dans les écosystèmes aquatiques, par les forêts urbaines et les arbres en bordure de rues (Orta-Ortiz & Geneletti, 2022).
III. Exemples de Solutions Fondées sur la Nature
Il existe une multitude d’exemples notables de SfN utilisées en contexte urbain de par le monde. Un d’entre eux est le projet de restauration d’une rivière urbaine dans la commune d’Albufeira, au Portugal. Cette rivière a été canalisée et enterrée lors du développement de la ville, entrainant des inondations parfois destructrices en raison de l’augmentation du ruissellement urbain et du manque d’espace laissé à la rivière. L’objectif premier a donc été de réduire ce risque et d’augmenter la résilience aux changements climatiques, tout en améliorant la santé et le bien-être des populations locales, et en restaurant des habitats en meilleur état écologique (Blau et al., 2018). Cela passe par la création ou l’amélioration de services écosystémiques fournis par le corridor fluvial restauré, l’écrêtage des crues, la création d’espaces de récréation, de rencontre et de jeu, la conception d’un projet viable et autonome économiquement, etc. En pratique, un corridor vert autour de la rivière et intégré aux espaces traversés est envisagé, avec des aménagements différenciés selon quatre zones prédéterminées (voir figure 1) :
• La zone 1 du projet (située à l’amont) verra la création de zones humides restaurées, de jardins de pluie, de terrains de sport, etc.
• La zone 2 pourrait voir un parc existant reconnecté à la rivière réouverte, ainsi que la création de terrains de jeux, d’escaliers, de pelouses, etc.
• La zone 3 vise à accueillir une forêt urbaine qui servira de zone d’expansion des crues. Les visiteurs pourront l’explorer via des chemins suspendus même en cas d’inondation.
• La zone 4 est située en centre-ville où l’espace disponible est très limité. L’accent a donc été mis sur la multifonctionnalité, l’historique et l’esthétique, avec des parkings à vélos et voitures, des fontaines et bassins artificiels en forme de vague rappelant le passé de village de pêcheur de la commune, ainsi que des espaces dédiés à des événements. Chaque zone dispose donc d’une atmosphère unique (Blau et al., 2018).

Les SfN sont ainsi intégrées en complément de ce projet de restauration urbaine plus large. Les zones humides permettront d’améliorer la qualité de l’eau et de réduire les îlots de chaleur, les jardins de pluie et prairies humides permettront de limiter le ruissellement, les arbres de bordure et murs végétalisés serviront de barrière auditive et sonore, le revêtement des chemins est perméable pour permettre l’infiltration des eaux de pluie, les bassins de rétention et les zones d’expansion des crues permettront de limiter les inondations…. Le projet fonctionne donc en système multifonctionnel pensé pour répondre à plusieurs problématiques à la fois, avec des solutions complémentaires en dehors du corridor fluvial réaménagé, comme des toits végétalisés, panneaux solaires… (Blau et al., 2018). Le projet s’inscrit également dans le cadre du concept de “biophilie” (Blau et al., 2018).
Dans une logique similaire, le campus de LyonTech – la Doua à Villeurbanne, un site pilote de 100 hectares, incarne l’utilisation innovante de Solutions fondées sur la Nature pour gérer les eaux pluviales et réduire le ruissellement urbain. Dans le cadre de sa transformation en « Ecocampus », le projet vise à en faire un laboratoire à ciel ouvert pour le développement durable (Sites Micro – Pluie – Micropolluants – Lyon, 2024, Micromegas, GRAIE, 2024). La politique de gestion des eaux pluviales sur le campus est basée sur des techniques alternatives qui présentent différents mécanismes de dépollution. Les dispositifs centralisés procèdent plutôt par décantation grâce à des systèmes de type bassins de rétention ou d’infiltration. Les dispositifs décentralisés, quant à eux, peuvent limiter les émissions, le lessivage ou piéger par filtration, voire décantation, grâce à des systèmes à la source comme des noues, chaussées réservoirs, toitures stockantes, biofiltres, tranchées… (Comby et al., 2019).
On distingue trois générations de SfN mises en œuvre sur le site. La première génération, constituée de dispositifs centralisés, repose sur de grands bassins de rétention installés en fin de tuyau, comme visible sur la figure 1.
Ces bassins nécessitent des réseaux d’acheminement des eaux, combinant donc des caractéristiques des infrastructures « grises » et « vertes », et peuvent présenter des enjeux fonciers importants, entraînant des coûts élevés d’installation et de maintenance. Un exemple concret se trouve près de “l’IUT Feyssine”, terminus de la ligne de tram 1 de Lyon, où un vaste bassin de rétention se remplit lors des épisodes pluvieux intenses.
La deuxième génération de SfN, tout en conservant une logique de fin de tuyau, cherche à optimiser l’usage de l’espace en introduisant des infrastructures multifonctionnelles. Par exemple, des terrains de sport équipés de surfaces drainantes permettent à la fois la rétention des eaux pluviales et l’utilisation d’espaces verts pour des activités sportives et récréatives, comme visible sur la figure 2.

La troisième génération de SfN, quant à elle, repose sur des dispositifs décentralisés qui réduisent le ruissellement directement à la source. Économes en place et en coûts, ces infrastructures s’intègrent au paysage urbain à travers des éléments tels que des routes perméables, des noues végétalisées, des tranchées drainantes, des voies enherbées et des rivières sèches. La figure 3 en présente quelques exemples. En ciblant de petites zones d’infiltration, elles permettent de gérer de nombreux petits bassins versants qui, ensemble, couvrent de larges superficies urbaines. Ces systèmes sont plus facilement adaptables à la configuration des espaces urbains, favorisant une gestion décentralisée des eaux de pluie (Comby et al., 2019).
Le projet « Micromégas », lancé en partenariat avec la Métropole de Lyon, vise à évaluer l’efficacité de ces techniques alternatives dans la gestion des micropolluants associés aux eaux de ruissellement. Depuis 2016, trois ouvrages sur le campus de la Doua sont soumis à un suivi scientifique et technique constant : une noue végétalisée, une tranchée drainante et une chaussée réservoir, chacun drainant les eaux issues des bâtiments, des voiries et des parkings (Sites Micro – Pluie – Micropolluants – Lyon, 2024).Depuis 2016, trois ouvrages sur le campus de la Doua sont soumis à un suivi scientifique et technique constant : une noue végétalisée, une tranchée drainante et une chaussée réservoir, chacun drainant les eaux issues des bâtiments, des voiries et des parkings (Micromegas, GRAIE, 2024).


Tous les dispositifs étudiés montrent une grande efficacité dans la réduction des débits de pointe avec des réductions moyennes de 99 % pour le parking équipé d’une noue, 95 % pour celui muni d’une tranchée, 80 % pour les chaussées absorbantes et 76 % pour le bassin de retenue. En matière de réduction des concentrations de métaux et de pesticides, les infrastructures basées sur la nature (SfN) appliquées à la source affichent des performances supérieures à 50 %, un constat valable pour tous les sites. Le classement des efficacités place la noue en tête, suivie de la tranchée, de la chaussée absorbante. La métrologie et le suivi des pratiques doit cependant être plus régulier. Par ailleurs, le sujet des micropolluants est rarement abordé spontanément par les acteurs de la gestion des eaux pluviales, révélant un besoin de sensibilisation important. La promotion d’une véritable « culture de site » est nécessaire pour informer, former les personnels, et impliquer tous les acteurs, y compris les usagers, dans une démarche de compréhension et de réduction de ces polluants – des panneaux informatifs pourraient, par exemple, jouer un rôle pédagogique important (GRAIE et al., 2020).
Grâce à ces approches intégrées, le campus de la Doua se positionne comme un exemple d’innovation pour la gestion durable des eaux pluviales urbaines, alliant solutions techniques et préservation environnementale dans un objectif de résilience climatique et de bien-être des usagers.
IV. Limites générales, enjeux et perspectives
Depuis quelques années, les solutions fondées sur la nature sont de plus en plus appréciées, notamment pour leur potentiel en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, et elles suscitent un grand intérêt chez les décideurs politiques (Osaka et al., 2021). Ces solutions, qui sont souvent présentées comme plus avantageuses, rentables, matures et démocratiques que leurs alternatives plus techniques (Osaka et al., 2021).
Toutefois, il est crucial de reconnaître que les solutions basées sur la nature comportent également des risques et des limites, et peuvent se révéler coûteuses, peu matures et parfois technocratiques (Osaka et al., 2021). La mise en œuvre de ces infrastructures rencontre aussi un manque d’espace en zones urbaines.
De plus, les données actuelles sur l’efficacité des SfN montrent une grande variabilité, rendant difficile les études comparatives et quantitatives notamment avec les solutions d’ingénierie civile (c’est-à-dire grises) (Blau et al., 2018). Or ces indicateurs quantitatifs sont essentiels pour déterminer quelle solution mettre en place et élaborer des directives, des lignes directrices claires pour les décideurs (Kõiv-Vainik et al., 2022). Un suivi sur le long terme doit donc être fait, puisque la plupart des projets de SfN s’inscrivent dans une vision long-termiste, et que les effets quantifiables peuvent mettre des années avant d’être mesurables (Blau et al., 2018).
Bien que les SfN aient un fort potentiel, des questions subsistent quant à leur capacité à être déployées seules, sans le recours à des solutions plus techniques. La distinction entre solutions techniques et fondées sur la nature mérite également d’être examinée, d’autant plus que certaines infrastructures, telles que les bassins d’infiltration, sont parfois considérées comme des solutions techniques (Turkelboom et al., 2021).
Pour finir, bien que les solutions fondées sur la nature (SfN) soient de plus en plus largement adoptées et bénéficient d’un certain consensus au sein de la communauté scientifique, certains chercheurs soulignent la nécessité de mieux définir leurs rôles et leur potentiel en lien avec les multiples facteurs et mécanismes associés à l’« urbanisation durable». À titre d’exemple, Lafortezza et Sanesi (2019) proposent un cadre de référence pour les SfN, visant à favoriser une urbanisation plus durable et à répondre aux défis qui en découlent, notamment en encourageant le développement de ces solutions.
Notes de bas de page : 1. Un îlot de fraîcheur est une zone urbaine où la température est plus basse grâce à la végétation, l’eau ou des aménagements favorisant l’ombre et la ventilation. Ces espaces aident à mieux supporter les fortes chaleurs et améliorent le bien-être en ville. 2. Une bande tampon est une zone intermédiaire souvent végétalisée, située entre une source de pollution (comme une route ou une industrie) et une zone sensible (comme une rivière, un habitat naturel ou une zone résidentielle). 3. Les rigoles sont de petites canalisations ou des tranchées peu profondes, généralement aménagées en surface, destinées à diriger ou évacuer les eaux pluviales. Elles jouent un rôle important dans la gestion des eaux pour éviter l’érosion des sols et les accumulations d’eau indésirables. 4. Les zones d’expansion des crues sont des espaces naturels ou aménagés où se répandent les eaux lors du débordement des cours d’eau dans leur plaine inondable 5. Les variables de conception sont des paramètres clés qui influencent les dimensions, les matériaux, les performances et les fonctionnalités d’un produit ou système. Elles permettent d’ajuster et d’optimiser la conception pour répondre aux exigences spécifiques et aux objectifs du projet. 6. L’évapotranspiration est le processus par lequel l’eau est transférée de la surface terrestre à l’atmosphère, combinant l’évaporation de l’eau des sols et des surfaces d’eau avec la transpiration des plantes. Elle joue un rôle crucial dans le cycle hydrologique et influence le climat ainsi que la disponibilité en eau. 7. La conductance stomatique est une mesure de la capacité des stomates, les pores (trous) des feuilles, à laisser passer les gaz, principalement la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone. Elle reflète l’ouverture des stomates et joue un rôle clé dans la régulation des échanges gazeux entre la plante et l’atmosphère, influençant la photosynthèse et la transpiration. 8. L’adsorption est le phénomène par lequel des molécules ou des atomes se fixent à la surface d’un matériau, souvent solide, sans pénétrer à l’intérieur. Ce processus est différent de l’absorption, où les substances pénètrent dans le volume du matériau. 9. Les technosols sont des sols artificiels créés en combinant des résidus organiques et minéraux. 10. Le corridor fluvial comprend le cours d’eau, ainsi que tout l’espace latéral façonné et occupé par ce dernier lors de ses crues les plus importantes. 11. L’écrêtage des crues désigne la réduction du débit maximum de la rivière (c’est-à-dire de la quantité d’eau maximale qui passe dans la rivière à un instant donné) pendant une crue, soit de manière naturelle (via des zones d’expansion des crues), soit de manière artificielle (via des barrages écrêteurs notamment). 12. Un corridor vert est une sorte de couloir de végétation, permettant la présence de milieux semi-naturels et végétalisés, et la circulation des espèces animales et végétales. 13. La biophilie est un concept désignant l’hypothèse selon laquelle les êtres humains possèdent une tendance innée à se chercher des liens avec la nature et avec d’autres formes de vie, et une connexion héritée des hommes à leur environnement naturel, ce dernier permettant donc d’améliorer la santé mentale et physique, et le bien-être des individus. 14. Les dispositifs centralisés sont des dispositifs de traitement des pollutions qui procèdent par une concentration préalable des eaux polluées. Toutes ces eaux sont généralement amenées au dispositif par des tuyaux. On appelle cela une logique de ”fin de tuyau”. 15. Les dispositifs décentralisés sont des dispositifs de traitement des pollutions qui procèdent par un traitement des eaux polluées à la source, sans transport par tuyaux. Ces dispositifs permettent donc de mettre fin à la logique de ”fin de tuyau” que l’on retrouve dans les dispositifs centralisés. 16. Le lessivage est le processus par lequel l’eau, en s’infiltrant dans le sol, entraîne avec elle des substances comme les nutriments, les sels ou les polluants vers les couches plus profondes du sol ou les nappes souterraines. 17. Une noue est un creux ou un canal naturel ou artificiel utilisé pour collecter et évacuer les eaux de pluie. 18. La fin de tuyaux désigne un ouvrage situé à l’extrémité d’un tuyau ou d’une canalisation, généralement concentrant les eaux provenant de divers bâtiments et/ou surfaces en un même endroit 19. C’est-à-dire du volume d’eau maximal transporté à un moment donné 20. La métrologie est la science de la mesure scientifique 21. Un micropolluant est une substance polluante présente en très faibles concentrations dans l’eau, l’air, ou les sols, et ayant des effets toxiques sur les organismes et l’écosystème (pesticides, résidus pharmaceutiques,…). 22. La résilience climatique est la capacité des populations à se remettre du changement climatique, à s’adapter à ses conséquences. 23. Utilisables seules 24. Reposant sur des décisions faites par des experts techniques. Les solutions rationnelles et scientifiques sont privilégiées au détriment des aspects politiques, sociaux ou démocratiques. |
Références :
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Comby, É., Rivière-Honegger, A., Cottet, M., Ah-Leung, S., & Cossais, N. (2019). Les « techniques alternatives » sont-elles envisagées comme un outil de gestion qualitative des eaux pluviales ? Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, Vol. 10, n°3, Article Vol. 10, n°3. https://doi.org/10.4000/developpementdurable.16082
European Commission. Joint Research Centre. (2020). Climate change and Europe’s water resources. Publications Office. https://data.europa.eu/doi/10.2760/15553
GRAIE, BACOT, L., BARRAUD, S., INSA, L. D., HONEGGER, A., & LAGARRIGUE, C. (2020). Devenir des micropolluants au sein des ouvrages de gestion des eaux pluviales a la source ou centralisés.
Heinzlef, C., Robert, B., Hémond, Y., & Serre, D. (2020). Operating urban resilience strategies to face climate change and associated risks: Some advances from theory to application in Canada and France. Cities, 104, 102762. https://doi.org/10.1016/j.cities.2020.102762
Kõiv-Vainik, M., Kill, K., Espenberg, M., Uuemaa, E., Teemusk, A., Maddison, M., Palta, M. M., Török, L., Mander, Ü., Scholz, M., & Kasak, K. (2022). Urban stormwater retention capacity of nature-based solutions at different climatic conditions. Nature-Based Solutions, 2, 100038. https://doi.org/10.1016/j.nbsj.2022.100038
Lafortezza, R., & Sanesi, G. (2019). Nature-based solutions: Settling the issue of sustainable urbanization. Environmental Research, 172, 394–398. https://doi.org/10.1016/j.envres.2018.12.063
Orta-Ortiz, M. S., & Geneletti, D. (2022). What variables matter when designing nature-based solutions for stormwater management? A review of impacts on ecosystem services. Environmental Impact Assessment Review, 95, 106802. https://doi.org/10.1016/j.eiar.2022.106802
Osaka, S., Bellamy, R., & Castree, N. (2021). Framing “nature-based” solutions to climate change. WIREs Climate Change, 12(5), e729. https://doi.org/10.1002/wcc.729
Turkelboom, F., Demeyer, R., Vranken, L., De Becker, P., Raymaekers, F., & De Smet, L. (2021). How does a nature-based solution for flood control compare to a technical solution? Case study evidence from Belgium. Ambio, 50(8), 1431–1445. https://doi.org/10.1007/s13280-021-01548-4
UICN. (2024). Les Solutions fondées sur la Nature. UICN France. https://uicn.fr/solutions-fondees-sur-la-nature/
Ont participé au travail d’écriture de cet article, en collaboration avec Arnaud Foret, Margaux Pred’Homme, Coline Heritier, Clément George, Océane Joet, étudiant·e·s de master 2 IWS de Lyon (par ordre alphabétique) : BADOIL Emeline, BARBEROT Elin, BUI-LIGOUZAT Myanh, BURGER Marie, FARENC Jeanne, GAÏDI Sara, GODÉ Eulalie, LEFEBURE Rachel, POIZAT Elodie, STOYANON Yani, WERQUIN-THEISMANN Léopoldine-Chan
Comment citer cet article : Arnaud Foret, Margaux Pred’Homme, Coline Heritier, Clément George, Océane Joet et la Terminale du lycée jean Perrin (Lyon, FR), Les Solutions fondées sur la Nature (SfN) appliquées à la gestion des eaux pluviales en milieu urbain, vue d’ensemble et perspectives Journal DECODER, 2025-02-16