Les Pokémons, la solution pour éviter une sixième extinction de masse
Comme nous, vous faites peut-être parti de cette génération Pokémon, de petits être imaginaires créés par Satoshi Taijir que nous nous plaisions à capturer sur nos consoles et à faire combattre face à d’autres dresseurs ! Vous avez certainement aussi entendu, à maintes reprises, que ce genre d’occupation était bête et qu’on aurait mieux fait d’aller jouer dehors… Ce n’est pas forcément faux mais ce qu’en pensent Andrew Balmford et ses collègues dans une très courte lettre dans la prestigieuse revue Science va vous surprendre (Balmford et al., 2002).
En effet, dans leur article intitulé « Pourquoi les protecteurs de la nature devraient prêter attention aux Pokémons » (« Why conservationists should heed pokemon ») publié en 2002, les auteur.e.s se demandent ce que représente aux yeux des enfants l’extinction du condor (Vultur gryphus) alors qu’ils n’ont même jamais vu un roitelet(Regulus regulus), oiseau commun de nos jardins ? En effet, nous sommes régulièrement assomé.e.s, à juste titre d’ailleurs, sur les conséquences gravissimes de la perte de biodiversité, notamment à l’échelle des espèces (la biodiversité se définit aussi au niveau génétique, des paysages, des interactions,…). Plusieurs espèces emblématiques sont prises comme exemple pour nous sensibiliser mais certaines, moins connues, deviennent alors sans intérêt aux yeux du grand public. Si la communauté scientifique s’émeut de la disparition en cours d’espèce comme le condor, il est compliqué de mobiliser les citoyens autour de cette cause car très peu d’entre nous connaissent ce pourtant majestueux rapace andins.
Et c’est bien souvent la jeunesse qui est conspuée, une génération abrutie par les jeux vidéo depuis quelques décennies. Les scientifiques baissent parfois les bras, se sentant incompétents pour transmettre leur message à une génération incapable de s’intéresser à la biodiversité…
Balmford et ses collègues se sont alors permis une petite expérience toute simple pour caractériser les capacités innées des enfants à s’intéresser à quelque chose. 109 enfants d’écoles de Grande Bretagne, âgé.e.s de 4 à 11 ans ont été évalué.e.s sur leurs connaissances en histoire naturelle et « non naturelle ».
Chaque enfant a dû identifier 10 espèces sauvages représentées sur des cartes parmi un jeu de 100 cartes. Parmi ces 10 cartes se trouvaient forcément deux plantes, deux invertébrés, deux mammifères et deux oiseaux. Il.elle a ensuite tiré 10 cartes Pokémon à identifier parmi 100 proposées (à l’époque les Pokémons étaient au nombre de 150). Les résultats sont étonnants, à 4 ans les enfants identifient 32% des espèces sauvages, 53% à 8 ans puis ce pourcentage diminue avec l’âge. En revanche, ils identifient avec succès 7% des pokémons pour les enfants de 4 ans mais 78% pour ceux de 8 ans ! Les enfants identifient très facilement un pikachu ou un bulbizarre mais ont plus de difficulté avec un chêne ou un blaireau…
N’en déplaisent aux plus réactionnaires d’entre nous, le message de cette mini-étude est extrêmement encourageant, comme le soulignent les auteur.e.s : tout d’abord, l’étude démontre l’extraordinaire capacité des jeunes enfants à retenir des espèces naturelles ou non, en témoigne les presque 80% de réussite sur 150 espèces de pokémon possibles ! Ensuite, cela remet en cause les capacités des protecteur.trice.s de la nature à inspirer les jeunes, contrairement au créateur des pokémons. Il semblerait que pendant leur scolarité, les jeunes enfants retiennent plus ces petits êtres imaginaires que les espèces sauvages les entourant. Or il est clair que nous prenons naturellement soin et nous protégeons mieux ce que nous connaissons.
Il n’est évidemment pas de solution miracle, mais les capacités des enfants ne sont pas à remettre en question. Une des pistes est de repenser notre lien à la nature, repenser notre manière d’éduquer les enfants à l’école, afin que ce qui les entoure, ce qu’il rencontre tous les jours (plantes, oiseaux communs, lézards,…) deviennent un monde d’épanouissement et de curiosité ! Le journal DECODER essaye d’œuvrer en ce sens, en faisant apparaitre les connaissances et la complexité du monde sous un jour nouveau. Nous espérons pleinement que l’ensemble de la communauté de la recherche suivra les recommandations de Balmford et ses collègues, c’est-à-dire s’investir dans de nouvelles façons de partager pour que la beauté du monde devienne aussi intéressante et captivante que les Pokémons !
Référence :
Balmford, A., Clegg, L., Coulson, T., & Taylor, J. (2002). Why conservationists should heed Pokémon. Science, 295(5564), 2367‑2367.