Est-ce que 2020 est la pire année sur Terre ?

Est-ce que 2020 est la pire année sur Terre ?

File:Eyjafjallajokull-April-17.JPG - Wikimedia Commons

A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous terminons la première semaine du confinement d’automne 2020. Il est peu de dire que 2020 est une année très particulière durant laquelle ces confinements sont venus exacerbés les fragilités de notre système sanitaire et social et ont mis en exergue les inégalités, en plus des problèmes quotidiens déjà présents, des guerres dans le monde, des bouleversements climatiques,…

Après ce tableau assez sombre, pour le dire avec un euphémisme, il serait plausible de nommer 2020 pour le titre de la pire année qu’ait connu l’Homme depuis son apparition sur Terre (Homo sapiens, ~200 000 ans). Et bien sachez que la question de savoir quelle est la pire année sur Terre avait été posée à l’historien Michael McCormick dans le magazine scientifique Science en 2018 pour qui la pire année sur Terre correspondait à l’année 536 (Gibbons, 2018). Cet article court, paru sous le titre de « Une éruption fait de 536 ‘la pire année pour être vivant’ » (Eruption made 5336 ‘the worst year to be alive’), semble cependant montrer que si 2020 est une année à oublier, 536 n’était vraiment pas rigolote non plus…

Le facteur accablant de cette année 536 fut une éruption d’un volcan islandais qui répandit des cendres sur tout l’hémisphère nord. Ce phénomène fut mis en lumière grâce à l’étude ultrapécise de carottes glaciaires d’un glacier suisse. Une carotte glaciaire correspond à un prélèvement vertical d’un « bâton » de glace de plusieurs mètres, correspondant à l’accumulation de chute de neige au cours du temps. Une méthode à très haute résolution permet, grâce à un laser, de tailler des éclats de glace de 120 microns (µm, 1 µm=0.000001m). Cela permet d’analyser les chutes de neiges à l’échelle de quelques jours ou semaines le long de la carotte de glace. Ces échantillons (jusqu’à 50 000 par mètre de carotte) sont ensuite analysés aux rayons X afin d’essayer d’y repérer jusqu’à une douzaine d’éléments chimiques.

Les résultats montrent des éléments retrouvés également dans des glaces d’Europe du Nord et du Groenland, ressemblant fortement à des éléments que l’on retrouve dans les roches volcaniques islandaises. Ce faisceau d’indice permettrait donc de donner la cause précise des événements dramatiques de l’année 536 même si certains scientifiques ne sont pas encore pleinement convaincus de la « nationalité » du volcan responsable.

Lors de l’éruption, le volcan rejeta du soufre, du bismuth et d’autres substances formant ce qu’on appelle des aérosols, empêchant la lumière solaire d’atteindre la surface de la Terre, ce qui la refroidit considérablement (Figure 1). Et les conséquences furent dramatiques : la température estivale moyenne tomba à 1.5°-2.5°C, il neigea en Chine pendant l’été et bien entendu les récoltes furent misérables entraînant la famine. Ces caractéristiques climatiques se retrouvent aussi lors de l’analyse des cernes des arbres dans lesquelles on note un refroidissement dans les années 540 mais les scientifiques étaient jusqu’alors incapable d’en déterminer la cause.

Figure 1 : Différence de température estivale moyenne par rapport à la moyenne calculée entre 1961 et 1990 depuis l’an 0 à aujourd’hui (modifié de Büntgen et al., 2016)

L’ensemble de ces circonstances climatiques induites par cette éruption ont plongé les habitant.e.s de 536 dans une année des plus terribles où à large échelle, la faim s’est invitée comme conséquences du froid, en plus des maladies et des inégalités déjà présentes à cette époque. Si les années de peste noire ou de guerres mondiales pourraient aussi rivaliser avec 536 pour le titre de pire année, ces événements sont plus localisés géographiquement ou combinent moins de catastrophes que 536, ce qui amène la conclusion du Dr McCormick. 

Si l’historien était interrogé aujourd’hui, il semblerait que 2020 n’arrive pas à détrôner 536, car si l’urgence sanitaire nous conduit à des dispositions drastiques, les conséquences, bien que terribles, ne sont heureusement pas à la hauteur de ce que nos ancêtres ont vécu en 536. Toutefois, force est de constater que lors des crises, ce sont encore les plus faibles qui souffrent les premiers et près de 1500 après cette pire année de l’histoire, nous n’avons que peu appris de ces événements…

Référence : 

  • Büntgen, U., Myglan, V. S., Ljungqvist, F. C., McCormick, M., Di Cosmo, N., Sigl, M., Jungclaus, J., Wagner, S., Krusic, P. J., Esper, J., Kaplan, J. O., de Vaan, M. A. C., Luterbacher, J., Wacker, L., Tegel, W., & Kirdyanov, A. V. (2016). Cooling and societal change during the Late Antique Little Ice Age from 536 to around 660 AD. Nature Geoscience, 9(3), 231‑236. https://doi.org/10.1038/ngeo2652
  • Gibbons, A. (2018). Eruption made 536 ‘the worst year to be alive’. Science, 362(6416), 733‑734. https://doi.org/10.1126/science.362.6416.733