Le nom d’une nouvelle espèce, tout une histoire…drôle !
N’en déplaise aux créationnistes, le monde évolue constamment. Depuis la nuit des temps, de nouvelles espèces sont apparues et d’autres ont disparu du fait des changements climatiques, des interactions avec les autres espèces (comme avec l’Homme par exemple qui modifie dans une ampleur et à un rythme effréné l’environnement, ne laissant pas le temps aux espèces de s’adapter). C’est le résultat de l’expression notamment de la diversité génétique de chaque individu et de la sélection naturelle. C’est ce qu’explique la théorie de l’évolution, développée en premier lieu par Darwin en 1859.
Nous découvrons sans cesse des espèces disparues mais fossilisées dans les différentes strates géologiques mais aussi de nouvelles espèces contemporaines. Dans les deux cas, il est nécessaire, pour les besoins de la connaissance de décrire très précisément ces espèces et enfin de les nommer. Le nom scientifique des espèces est, depuis Linné (biologiste suédois du XVIIIème siècle et inventeur du système de nomenclature actuel), composé de deux substantifs latinisés : le nom de genre suivi du nom de l’espèce. Cette règle vaut pour les animaux comme pour les végétaux. Pour exemple, nous sommes tous des Homo sapiens, Homo étant notre genre et sapiens le nom de notre espèce (nous appartenons au même genre que l’homme de Néanderthal, Homo neanderthalensis).
Les noms sont parfois bien compliqués et peu compréhensibles pour les profanes (soit la grande majorité de la population). Et pourtant, en les regardant de plus près, ils peuvent être très drôles, fruit de l’imagination des taxonomistes (ces scientifiques qui décrivent, classent et nomment les espèces nouvelles) et des clins d’œil amicaux ou sociétaux.
McClellan, chercheur indépendant, a étudié ces noms fantasques et nous raconte l’histoire, l’origine du nom de certaines bestioles plus ou moins vieilles qui montrent l’originalité des biologistes, pas aussi austères qu’on pourrait le penser. Il publie son travail en 2019 dans un article du journal Historical Biology, intitulé « Taxonomic punchlines : metadata in biology », soit « Les punchlines de la taxonomie : des métadonnées en biologie ».
McClellan souligne à juste titre que la plupart des biologistes sont jugés sur leurs publications scientifiques. Très techniques et sobres, elles ne révèlent pas l’état d’esprit ou le caractère personnel des scientifiques. Or le nom donné aux espèces peut aider, non seulement à mieux cerner ces scientifiques mais aussi potentiellement à comprendre les circonstances de la découverte, le contexte de l’époque, le lieu… On retrouve des exemples également chez les chimistes qui ont nommé des molécules penguinone et pterodactyldiene à cause de leur forme rappelant celle d’un pingouin ou d’un ptérodactyle, ce qui nous rend ces composés beaucoup plus intéressants.
Les noms sont en général issus de racines grecques ou latines, traduisant la spécificité de l’organisme découvert mais McClellan souligne que certains scientifiques s’attachent à rendre hommage au territoire dont sont issues leurs découvertes comme le paléontologistes Simpson. Ce dernier affirmait préférer donner un nom à la racine Mongole par exemple à un animal trouvé en Mongolie ou en utilisant des dialectes sud-américains anciens pour ceux découverts en Amériques du Sud. Une façon de rendre à César ce qui appartient à César…
Cela a poussé les biologistes à inscrire comme règle dans le code international de la nomenclature zoologique (ICZN) en 1999, l’obligation de décrire l’étymologie du nom donné dans une section spéciale de l’article présentant le spécimen.
Par exemple, en 1937, Simpson découvrit une un fossile de crocodile qu’il nomma Necrosuchus, littéralement, crocodile mort. Il raconte que l’inspiration lui vint d’une remarque venant d’une personne lui demandant, alors qu’il collectait le fossile, si ce dernier était mort… . Ce chercheur avait toutefois de l’autodérision comme en témoigne le nom donné à cette tortue du Miocène (-25 à -5 millions d’année) nommée Testudo gringorum en hommage au surnom sud-américain dont l’ont affublé les habitants de la Patagonie où étaient effectuées les recherches : « gringo » est un surnom péjoratif donné aux étrangers non sud-américains.
Il est aussi commun de rendre hommage à des personnes via la nomination d’espèce. S’il est toutefois interdit de donner son propre nom à une espèce que l’on décrit, cela peut être n’importe qui d’autre comme le découvreur (qui n’est pas forcément le scientifique qui décrira l’espèce). Toutefois, le code de nomenclature stipule clairement que tout nouveau nom ne doit porter atteinte à qui que ce soit car certains ont utiliser ce biais pour insulter d’autres collègues ou connaissances. C’est quand même plus classe que les noms d’oiseaux sur nos réseaux sociaux mais cela reste assez bas du front avouons le. Par exemple, une perche de rivière, Brosmius bleasdalii fut nommée ainsi en « hommage » au Révérend Dr John Bleasdale, c’est un poisson visqueux vivant dans la boue (Fig. 1)… dans un autre registre, certains usent du suffixe -anus pour rappeler implicitement un caractère relatif à notre postérieur, c’est le cas pour un lézard marin, nommé Mosasaurus copeanus, insulte proférée par Marsh à l’encontre de Edward Drinker Cope. Il faut reconnaitre que la création de ces noms totalement sortis de l’imagination des biologistes, sans référence à l’anatomie, au site,… évite de créer des homonymes avec des fossiles ou espèces similaires. C’est sur ce principe que résonnait Rousseau Flower, créant des noms sur la base de ses amis pour les céphalopodes (des mollusques) et sur la base de ses ennemis pour les vers (les pauvres méritent pourtant tout autant de considération….).
Certains noms rappellent des anecdotes de labo, Wood par exemple nomma un fossile de souris Platypittamys, platy signifiant plat en anglais et pitta comme le gâteau, tout simplement car il appelait ce spécimen « la souris pancake » du fait de sa conservation dans une position disons très aplatie.
Et puis il y a les scientifiques romantiques, Howard Platt et son collègue par exemple ont nommé un nématode marin (des vers) Gairleanema anagremilae, dont le nom de genre et d’espèce sont les anagrammes des compagnes respectives des chercheurs. Quelle belle déclaration ! D’autres peut être moins raffinés, ajoutaient le suffixe –chisme aux noms donnés à leur trouvailles, rappelant souvent leurs conquêtes amoureuses et dont la prononciation anglaise est équivalente à « kiss me » (« embrasse-moi »).
Et puis d’autres n’hésitent pas à rendre hommage à des artistes ou héros de fiction qui font parti de notre culture à tous, citons en vrac :
- Une créature préhistorique, Dracorex hogwartsi en hommage à l’école de Poudlard de Harry Potter (Hogwarts Academy en anglais)
- Gaga germanotta, une fougère en hommage à Lady Gaga dont le vrai nom est Germanotta
- Napoleonea imperialis, un arbre tropical rappelant l’empereur Napoléon
- Megalonyx jeffersonii, un paresseux préhistorique honorant l’ancien président américain Thomas Jefferson.
- Neopalpa donaltrmpi Nazari, insecte de la famille des lépidoptères dont la ressemblance avec Donald Trump est frappante (Fig. 2)
- Même Hitler trouve une espèce de coléoptère à son nom, Anophtalmus hitleri
- Heteragrion freddiemercuryi, une demoiselle (proche des libellules), Mozartella beethoveni, hyménoptère dont font partie les abeilles, ou Bagheera kiplingi, une belle araignée d’Amérique centrale, rendent respectivement hommage à Freddy Mercury, chanteur du groupe Queen, Mozart et Beethoven, génies classiques et Rudyard Kipling auteur du Livre de la jungle et donc inventeur du personnage de Bagheera.
Ceci n’est qu’un échantillon de la foule de détails croustillants dont regorge l’article. Au-delà de l’aspect ludique pour les taxonomistes, ces noms farfelus, aux origines parfois très personnelles ont plusieurs vertus :
- Ils participent à la communication scientifique dans les médias qui raffolent de ce genre d’histoire et facilitent donc la transmission de ce savoir
- Redorent le blason d’espèces que nous trouvons répugnantes, qui nous font peur, via leur sobriquet plus avenant que nos préjugés.
Ces noms sont aussi le reflet d’une époque, de faits de laboratoire ou d’aventures parfois peu connus mais qui participent à la grande histoire de la culture scientifique. Expliqués par les auteurs ils peuvent apporter de précieuses informations épistémologiques et doivent donc pour cela, comme le suggère l’auteur de cet article, être célébrés. Classer et décrire une nouvelle espèce peut s’avérer passionnant pour un scientifique comme ennuyant pour le grand public, le nom donné est alors la dernière occasion poétique pour un taxonomiste de s’exprimer et de partager son histoire avec le reste de l’humanité.
N’ayez plus peur des noms latins des espèces, ils peuvent avoir un sens caché parfois surprenant et qui sait, peut être un jour une nouvelle espèce portera votre nom !
Référence :
McClellan, Patrick H. ‘Taxonomic Punchlines: Metadata in Biology’. Historical Biology, 27 May 2019, 1–17. https://doi.org/10.1080/08912963.2019.1618293.